Les conséquences de la guerre en Ukraine
Touristes et ressortissants coincés
Les préoccupations liées à la guerre en Ukraine ont tenu une large place dans l’actualité égyptienne ce mois-ci. Environ 16 000 touristes ukrainiens seraient bloqués en Égypte depuis le début de l’attaque russe sur leur pays, notamment dans les sites touristiques de la Mer rouge – Charm el Cheikh, Hurghada et Marsa Alam. Le ministère du tourisme égyptien a appelé l’Association des Hotels égyptiens à encourager les hôtels et resorts à étendre le séjour des touristes ukrainiens, mais également russes, et de leur fournir tous les services nécessaires gratuitement jusqu’à ce qu’ils soient capables de rentrer chez eux. D’après Mada Masr, les pertes quotidiennes pourraient s’élever à entre 50 000 EGP et 100 000 EGP par jour par hôtel suite à cette décision. Des discussions pour une contribution du gouvernement sont en cours, alors que le secteur touristique égyptien redémarre doucement après deux années de pandémie – les revenus du secteur auraient chuté de 70% en 2020. Les touristes ukrainiens représentent 3 % de l’ensemble des touristes annuels en Égypte, et 2.5% du chiffre d’affaires du secteur touristique. Alors que les vols avec la Russie viennent tout juste d’être rétablis, le gouvernement égyptien avait anticipé la venue d’entre 300 000 et 400 000 touristes par mois, chiffre qui risque d’être mis à mal par les évènements récents.
Concernant les ressortissants égyptiens en Ukraine, il ne semble pas y avoir de plan d’évacuation général. 15 étudiants qui seraient passés en Roumanie au début de l’attaque seraient parvenus à rentrer en Égypte début mars. Après plusieurs jours d’incertitudes, il semblerait que les autorités égyptiennes aient finalement mis en place un plan d’évacuation et envoient des vols de rapatriement dans les pays voisins. D’après la ministre de l’immigration, 1200 étudiants égyptiens seraient déjà en Pologne, tandis que 400 autres seraient en train de quitter Kiev. Au début de l’attaque, l’ambassade égyptienne avait appelé ses ressortissants à rester sur place, notamment ceux qui résident dans les régions proches de la frontière russes. Ceux qui se trouvent dans les régions occidentales d’Ukraine avaient été informés qu’ils pouvaient partir en passant par la Pologne, la Roumanie ou la Slovaquie. Les étudiants constituent plus de la moitié des ressortissants égyptiens vivant en Ukraine, soit environ 4000 sur 6000 individus.
Ressources : entre nécessité et opportunités
L’approvisionnement en blé est également au cœur des préoccupations liées au dossier ukrainien, la Russie et l’Ukraine étant les principaux fournisseurs de blé à l’Égypte, le plus large importateur de blé au monde. 18 millions de tonnes de céréales ont été consommés en Égypte l’année dernière, parmi lesquels 13,2 millions ont été importées, et 5 millions produits localement. 80 % des importations proviennent de la Russie et de l’Ukraine.
Malgré le conflit, les autorités égyptiennes ont affirmé début mars que toutes les importations d’origine russe et ukrainienne seraient livrées. Cependant, des cargaisons de blés de 60 000 tonnes à destination d’Égypte seraient bloquées dans le port d’Odessa à cause des frappes russes. De plus, les deux grandes compagnies maritimes MSC et Maersk ont suspendu fin février le transport de conteneurs à destination ou en provenance de ports russes. Une cargaison a cependant pu quitter le port ukrainien Yuzhny en direction d’Alexandrie. Le gouvernement égyptien affirme également que l’Égypte dispose de stocks de blés suffisants pour les 9 prochains mois et rappelle que la récolte locale de blé va commencer en avril. Dans ce contexte sécuritaire, les autorités ont annoncé chercher à diversifier les pays importateurs, mais les prix d’importations risquent d’être plus élevés. Ce conflit pourrait ajouter des millions voire des milliards à la dette nationale égyptien, alors que les prix du blé ont connu une augmentation mondiale en 2021, qui aurait atteint 27%. Dans le contexte de réduction et de transformation du système de subvention, dont le pain subventionné à 5 piastre la miche au lieu du 65 est consommé par près 70 % de la population, la question du prix du pain est un sujet sensible.
Mais tout n’est pas à perdre dans le conflit russo-ukrainien. Les pays européens cherchent également à diversifier leurs fournisseurs de matières premières, notamment en gaz naturel, alors que le conflit et les sanctions prises vis-à-vis de la Russie risquent de causer l’interruption partielle de l’approvisionnement russe en gaz naturel, qui fournit 40% de la consommation européenne. Des négociations sont en cours avec l’Égypte et cinq autres pays (États-Unis, Qatar, Azerbaïdjan, Nigeria et Corée du Sud) à cet égard. Des discussions sur le sujet avaient également eu lieu mi-février, quelques jours avant le début du conflit russo-ukrainien, lors du sommet conjoint entre l’Union Européenne et l’Union Africaine auquel a participé le Président al-Sissi.
D’après Mada Masr, étant donné que la production égyptienne de gaz naturel – notamment en provenance du champ d’extraction Zohr – peine à subvenir à la consommation locale, il est peu probable que l’Égypte se trouve en capacité d’exporter son gaz. Il semblerait plutôt que ce soit Israël qui va exporter du gaz, en transitant par l’Égypte. En effet, depuis 2020, Israël a commencé à exporter du gaz vers l’Égypte et la Jordanie. En Égypte, le gaz est liquéfié puis réexporté. Ce pourrait être cette technique qui serait employée afin de réexporter du gaz vers l’Europe. La ministre israélienne de l’énergie a par ailleurs annoncé mi-février que son pays prévoyait d’augmenter son exportation de gaz vers l’Égypte de 50% dès la fin février.
Par ailleurs, un accord entre les pays voisins du Liban a été mis en place pour subvenir aux besoins du pays en matière d’énergie, financé par la Banque Mondiale. L’Égypte a annoncé qu’elle commencerait à exporter du gaz vers le Liban, qui transiterait notamment par la Syrie, au plus tard fin-février ou mi-mars. Il semble bien que ce gaz soit en réalité – et officieusement – d’origine israélienne.
Un choix diplomatique impossible ?
Diplomatiquement, l’Égypte est prise dans un étau étant donné ses liens étroits, à la fois économique et militaires avec la Russie, l’Union Européenne, les États-Unis.
L’Égypte ne peut en effet pas se brouiller avec ses alliés occidentaux, notamment dans le cadre des réformes économiques actuelles menées sous l’égide du FMI, mais également par ce que les États-Unis sont prêts à soutenir diplomatiquement la position égyptienne dans le conflit qui l’oppose à l’Ethiopie autour du GERD, qui a d’ailleurs commencé à produire de l’électricité courant février. De l’autre côté, l’Égypte est proche de la Russie sur de nombreux dossiers régionaux – notamment le dossier libyen– et partage avec elle des intérêts économiques. Une centrale nucléaire est en cours de construction par la société russe Rosatom à Dabaa, et comme mentionné plus haut, de nombreux touristes russes étaient attendus les mois prochains en Égypte.
Les ambassades européennes en Égypte se sont montrées insatisfaites de la déclaration de la Ligue Arabe publiée fin février qui appelait à la diplomatie entre les parties en conflit, à éviter l’escalade et à considérer la situation humanitaire. Une déclaration des ambassadeurs des pays du G7 en poste au Caire a demandé à l’Égypte de tenir une position plus ferme vis-à-vis de la Russie. L’Égypte s’est finalement rangée du côté de ses alliés occidentaux en votant en faveur de la résolution présentée à l’Assemblée Générale des Nations-Unies, exigeant le retrait immédiat, complet et inconditionnel des troupes russes d’Ukraine et déplorant « l’agression » russe. Les Émirats Arabes Unis et la Chine, qui s’étaient abstenus une semaine auparavant lors du vote de la résolution présentée par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies visant à mettre fin au conflit, se sont également finalement rangé du côté occidental en votant également pour cette résolution.
Des salaires minimums dans le secteur public
Mi-février, le Conseil des ministres a approuvé la proposition du Ministère du Secteur public et des entreprises de fixer un salaire minimum pour les employés du secteur public. A partir de juillet prochain, 15% des employés du secteur public – au total environ 760 000 personnes répartis dans 118 entreprises – auront droit au même salaire minimum que les employés de l’administration publique, qui sera augmenté à partir de juillet prochain de 300 EGP et sera ainsi de 2700 EGP par mois. Cette décision s’appliquerait à un petit nombre d’employés étant donné que la majorité d’entre eux gagne que ce salaire, et n’aura pas d’incidence sur les primes annuelles que les employés reçoivent déjà.
Le Conseil des ministres a également approuvé l’augmentation du taux des primes allouées aux fonctionnaires, ainsi que la mise en place d’une prime spéciale pour les enseignants des écoles primaires et secondaires et une allocation de 1.8 milliards d’EGP pour employer 30 000 nouveaux enseignants par an pendant cinq ans cinq afin de répondre au déficit du corps enseignant. Les salaires des professeurs à l’université seront également augmentés, et une allocation d’1 milliard d’EGP va être faite pour employer davantage de professeurs sur des contrats à plein temps. Enfin, une allocation de 1.8 milliards d’EGP a également été décidée afin de recruter 30 000 médecins et infirmiers, ainsi que l’augmentation des revenus des médecins internes.
Violence contre les femmes
Alors qu’un rapport affirme que les crimes violents contre les femmes en Égypte ont augmenté en 2021, la vidéo de l’agression d’une jeune femme par son futur mari le jour de leur mariage- a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux.
Le rapport annuel sur la violence sexiste établit par la Fondation Edraak pour le développement et l’égalité (EFDE), à partir des déclarations du ministère public, des rapports publiés dans les journaux et les médias, a enregistré 813 crimes violents contre les femmes en 2021, contre 415 en 2020, et 296 meurtres de femmes et de filles – chiffres qui sont probablement plus élevés en réalité. Dans la foulée, une députée du Parti égyptien de la liberté, Amal Salamah, a proposé de durcir les peines dans les cas de violences conjugales et a fait face aux condamnations des plus conservateurs, qui affirment que la violence d’un homme envers sa femme est permise par la Charia.