Des nouvelles du Covid-19 en Égypte
Réouverture des espaces publics
L’Égypte a finalement opté pour la réouverture des espaces publics, alors que le nombre de personnes infectées par le Covid-19 est encore en augmentation, et que le pic d’infection, prévu pour la mi-juillet, n’est pas encore atteint. A la fin du mois de juin, le Cabinet du Premier ministre annonçait ainsi la réouverture progressive des restaurants, cafés, et clubs de sport, désormais autorisés à accueillir jusqu’à 25% de leurs capacités. Le couvre-feu est quant à lui terminé. Les sites touristiques ainsi que certains gouvernorats rouvrent également aux visiteurs étrangers à partir du 1er juillet.
Les lieux de cultes ont également partiellement rouverts. Seules les grandes mosquées ont été autorisées à rouvrir leurs portes. Des mesures particulières sont mises en place pour prévenir les risques d’infection : port du masque obligatoire, ablutions à l’extérieur des mosquées, tapis personnels et marquages des sols pour respecter la distanciation sociale. Les mosquées ne sont pour autant pas encore autorisées à ouvrir leurs portes pour la prière du vendredi. L’Église protestante a quant à elle annoncé attendre le 6 juillet pour rouvrir les portes de ses églises. L’Église Copte a également repoussé la réouverture à la mi-juillet dans les villes d’Alexandrie et du Caire, fortement touchée par l’épidémie. Les églises resteront également fermées les week-ends.
Évolution du protocole médical : soins à la maison et traitement au plasma
Face au manque de place dans les hôpitaux, les personnes présentant des symptômes légers du covid-19 sont incitées à se confiner chez elles. Mi-juin, le Ministère de la Santé indiquait avoir distribué des kits de soin à domicile, incluant des médicaments, à 7000 personnes infectés par le virus, et à 75000 personnes qui avaient été en contact avec eux.
Après que plusieurs malades aient été rétablis en suivant un traitement au plasma, les autorités ont encouragés les patients guéris du Covid-19 à donner leur sang, 14 jours après leur rétablissement. Ceci a soulevé de nombreuses questions, notamment concernant les risques d’émergence d’un trafic de plasma, après la vente de leur plasma par certains patients. Les autorités ont condamné ces pratiques, incitant à donner leur plasma gratuitement, suivi par Al Azhar qui a estimé que vendre son plasma était interdit par la Charia. Le Ministère de la Santé a également interdit les laboratoires et les hôpitaux privés de récupérer le plasma des personnes guéries.
La Ministre de la Santé a également affirmé que les hôpitaux de confinement n’étaient occupés qu’à 59%, ce qui semble contredit par de nombreux témoignages. Par ailleurs, des hôpitaux de campagne commencent à être mis en place, notamment par les forces armées qui ont installé un grand hôpital de campagne au Centre des expositions.
Tensions toujours plus vives entre personnel médical et autorités
Dans la continuité des tensions vives existant entre les syndicats médicaux et les autorités, le 10 juin le Syndicat des médecins a énoncé une liste de demandes au Premier ministre. Celles-ci ne sont pas nouvelles, notamment concernant l’augmentation et l’amélioration des équipements de protection pour le personnel médical, et l’exclusion du personnel malade, âgés, ainsi que des femmes enceintes des équipes attraites au soin du Covid-19. Le syndicat a également demandé que la police soit présente sur les sites hospitaliers, étant donné l’augmentation des agressions envers le personnel médical.
Au moins trois médecins ont été arrêtés pour avoir exprimé publiquement leur mécontentement. Ils sont accusés de répandre des fake-news, de mal utiliser les réseaux sociaux et de faire partie d’une organisation terroriste. Des médecins et des pharmaciens ont été punis pour avoir exigé de faire des tests PCR avant de travailler. Courant mai, des médecins auraient également été menacés de tribunal militaire s’ils ne respectaient pas les consignes officielles. Un autre conflit, concernant les modalités – et le retard – de l’assignement des jeunes diplômés à leurs postes, alors que le nombre de médecins disponibles est insuffisant, a également mis le feu aux poudres. En effet, il semblerait que le système de placement de jeunes médecins, qui a fait l’objet d’une grande réforme en janvier dernier, ait retardé les nominations. 7 000 jeunes diplômés étaient toujours en attente de placement début juin.
Une conférence de presse organisée fin juin en réponse aux propos du Premier ministre du 23 juin, a été annulée par les autorités, officiellement pour des « raisons techniques ». Le Premier ministre avait en effet pointé des négligences du personnel médical ainsi qu’un manque de discipline pour justifier le taux de mortalité lié au Covid-19, En réaction à ces propos, le Syndicat avait d’abord exigé des excuses publiques de la part du Premier ministre, estimant que ces insinuations incitaient la colère contre les médecins, voire des agressions à leur encontre. Le Syndicat avait ensuite décidé d’organiser cette conférence de presse en soutien aux équipes médicales.
Un projet de loi est toutefois en cours pour créer un Fonds de protection pour les travailleurs médicaux qui tomberaient malades dans le cadre de leur travail. Ce fonds augmenterait les indemnités de risque de 700 EGP à 1,225 EPG. Cette loi prévoie également un départ à la retraite à 60 ans au lieu de 65 ans.
A la fin juin, près d’une centaine de médecins étaient décédés du Covid-19 depuis le début de la crise.
L’impact économique du Covid-19 dans les foyers
Des chiffres ont été fournis par le CAPMAS sur l’impact économique du Covid-19 sur les foyers égyptiens. D’après cette étude, 73,5% des Égyptiens interrogés rapportent subir une baisse de revenu depuis le début de la crise, et presque la moitié de ces familles égyptiennes ont déclaré devoir emprunter pour joindre les deux bouts, alors même qu’une hausse du prix de l’électricité a été annoncée début juin. L’étude rapporte également les changements dans la consommation des familles liés à la crise engendrée par le virus.
L’aide mensuelle fournie depuis le mois de mars aux travailleurs du secteur informel enregistrés devrait être prolongée pour 3 mois supplémentaires.
Le Ministère de l’immigration a annoncé à la mi-juin que 57 000 travailleurs avaient été rapatriés à la mi-juin. Un formulaire « Nawart Baladak’ » (bienvenue dans ton pays) pour recenser leurs compétences a été lancé pour les aider à retrouver du travail.
Le tourisme pour sauver l’économie ?
La réouverture économique passe notamment par la réouverture du tourisme. Ainsi, le ministère du tourisme a annoncé un certains nombres de mesures sanitaires accompagnant la réouverture progressives des principaux sites touristiques égyptiens. Les autorités ont également pris des mesures concernant les compagnies d’aviations et les aéroports (voir RDP ville). Elles affirment ainsi que les touristes étrangers devraient commencer à revenir dans le pays courant juillet. Les zones qui sont d’abord ouvertes sont le Sud Sinaï, la Mer Rouge et Marsa Matrouh, notamment parce que le taux d’infection y est très faible. Les touristes seront également exemptés de frais de visa jusqu’à la fin du mois d’Octobre. Alors que les vols commerciaux ont repris le 1er juillet, les autorités ont annoncé que 400 hôtels, 144 restaurants et cafés touristiques étaient désormais en possession d’un certificat d’hygiène. Le 1er juillet, les sites touristiques ont également rouverts.
Passer ses examens en période d’épidémie
Une grande attention a été portée à la tenue des examens du secondaire (Thanaweya Amma) pendant le mois de juin. Le ministre de l’éducation a fait fi des demandes d’annulation, émanent de plusieurs députés et du Syndicat des médecins, et a décidé de maintenir les examens pour 652 289 élèves. Des mesures sanitaires ont été prises telles que la distanciation sociale, la prise de température à l’entrée des bâtiments, et un maximum de 14 élèves par salles. Des millions de masques, de gants ont également été distribués. 2 000 membres du personnel médical ont été chargés de surveiller les étudiants et 560 ambulances ont été mises à disposition près des lieux d’examen.
Malgré ces mesures, le Syndicat des médecins a estimé qu’au moins 1000 élèves contracteraient le virus pendant les examens. De fait, des photos de larges foules d’étudiants ont été relayées sur les réseaux sociaux, ainsi que la présence de nombreux parents à proximité. Le Ministère de l’éducation s’est défendu en estimant que le non-respect des distances sociales relevait d’un problème de comportement, et n’avait rien à voir avec les mesures prises par les autorités.
Alors que les examens du second semestre universitaire ont été annulés en avril, le Conseil suprême des universités a décidé d’organiser les examens pour les étudiants en fin de cycle le 1er juillet.
La Libye en ligne de mire
Alors que les tensions autour du GERD sont au cœur des préoccupations égyptiennes (voir RDP Ville), l’évolution de la situation en Libye inquiète également les autorités.
En effet, après l’échec de l’offensive du Général Haftar lancée en janvier 2018 à la tête de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), pour prendre Tripoli, ses alliés cherchent de nouvelles solutions pour contrer les avancées du Gouvernement d’Accord National (GAN) mené par Fayez el-Sarraj et soutenu par la Turquie.
Ainsi, de nombreux échanges entre russes et égyptiens, alliés de la ANL, ont eu lieu au cours du mois de juin, face à la menace de la prise de la ville de Syrte, aux mains de la ANL, par le GAN.
Syrte est une ville stratégique car elle se situe dans une zone où les ressources pétrolières sont importantes et sur la route de plusieurs ports méditerranéens, de 11 pipelines pétroliers et de trois gazoducs. Contrôler Syrte revient alors à contrôler les zones d’excavations, les infrastructures et les flux pétroliers gaziers et pétroliers.
En effet, au-delà de protéger sa sécurité nationale, notamment sur sa frontière ouest qu’elle partage avec la Libye, l’Égypte cherche à contrer l’influence grandissante turque dans la région en matière de ressources. La Turquie a notamment signé en novembre 2019 un accord avec le GAN qui voit sa Zone Économique Exclusive s’étendre désormais jusqu’aux côtes libyennes. Le 14 mai, la Compagnie du Pétrole Turque a par exemple soumis une demande de permis pour commencer des explorations dans les eaux libyennes. L’exploitation du gaz et du pétrole par la Turquie dans les eaux libyennes pourrait remettre en cause l’exportation de gaz naturel de l’Égypte et d’autres pays méditerranéen vers l’Europe à travers un pipeline. Alors que l’Égypte cherche à exploiter son champ gazier Zohr, une alliance turco-libyenne sur la collecte et distribution de gaz dans la région représente un grand obstacle à ses velléités économiques.
En mai dernier, l’Égypte avait par ailleurs annoncé une alliance avec la Grèce, Chypre, les Émirats Arabes Unis et la France contre la Turquie, affirmant qu’elle conduit des explorations illégales dans les eaux chypriotes et condamnant le soutien de la Turquie au GAN.
Alors que l’Égypte poussait avec sa « Déclaration du Caire » lancée début juin le GAN et la ANL à la négociation en vue d’un cessez-le-feu, les tensions se sont accrues mi-juin après la diffusion d’une vidéo montrant des travailleurs égyptiens détenus par un groupe non-identifié, contraints à chanter des insultes au Président al-Sissi. L’ANL a accusé une milice affiliée au GAN d’être l’auteure de la vidéo. Des spéculations autour d’une frappe aérienne en réaction à l’insulte et à la séquestration des travailleurs ont rappelé les frappes aériennes menées par l’Égypte en Libye en février 2015 en réponse au meurtre de 21 coptes.
Lors d’une visite aux avant-postes militaires à la frontière égypto-libyenne, le président de la république a affirmé que la prise des villes de Syrte et d’al-Jufra par le GAN serait une « ligne rouge » dont le franchissement amènerait à une intervention militaire de l’Égypte qui aurait une « légitimité internationale ».
Si le Ministre des Affaires étrangères Sameh Shoukry a ensuite tempéré ces propos, appelant à favoriser une solution diplomatique, l’éventualité d’une intervention égyptienne persiste.