Ce que les mesures contre le Corona font aux territoires
Le 28 avril, le ministère de la Santé a annoncé 5 042 cas de Coronavirus en Égypte.
Un confinement complet pour certains villages
Le 7 avril, le gouvernorat de Giza a imposé un confinement complet pour le village d’Al-Mouhatamedia, en raison de plusieurs cas de COVID-19 détectés. Un cordon de sécurité a été mis en place tandis que le gouvernement fournissait certains services : médicaments, ambulances pour déplacer les cas les plus graves, nourriture pour les personnes les plus en difficulté, voitures parcourant le village avec des distributeurs de billet de banque. Les voitures, rues, entrées des maisons et magasins ont été désinfectés. L’approvisionnement en nourriture et la désinfection de lieux ont été aussi menés par des organisations non-gouvernementales et des résidents du village. Le ministère de l’Environnement a annoncé des mesures concernant les déchets venant d’Al-Mouhatamedia : une zone a été dédiée à la collecte de ces déchets qui sont traités avec de la chaux, tout équipement sortant du village est désinfecté. La quarantaine a été levée après 14 jours le 21 avril.
Plusieurs autres villages ont été placés en quarantaine en Égypte depuis l’annonce de la pandémie du coronavirus : le village d’Al-Hayatem dans le gouvernorat de Gharbia, deux villages à Minya, 12 maisons ont été isolées dans le gouvernorat de Ach-Charqiya en raison d’un cas de coronavirus touchant un ouvrier travaillant dans les usines du Dix-de-Ramadan. Dans chacun de ces cas, les mêmes mesures ont été mises en place que dans le village d’Al-Mouhatamedia.
Corona et établissements touristiques : des aides financières
De manière plus ponctuelle, certains hôtels au Caire et à Alexandrie ainsi que dans quelques stations balnéaires ont été réquisitionnés afin de placer en quarantaine les Égyptiens revenus d’autres pays, certains vols ayant été affrétés exceptionnellement pour rapatrier les Égyptiens bloqués à l’étranger. Le gouvernement paye aux hôtels et stations cette mise en quarantaine à travers le Fonds « Tahya Misr ». Créé en 2014, Ce fonds est dédié entre autres au développement urbain, aux programmes de santé et d’éducation, à la solidarité économique et sociale et qui comporte un volet d’aides en cas de catastrophe et de crise.
Pour aider les établissements hôteliers et touristiques face à la baisse de fréquentation liée notamment à la fermeture des frontières, Abdel Fattah al-Sissi a annoncé, à la suite d’une réunion avec le Premier ministre, le gouverneur de la banque centrale et d’autres ministres le 6 avril, le report du paiement des taxes sur les établissements pendant trois mois.
Travailleurs irréguliers et secteurs informels : vers une formalisation ?
Le gouvernement souhaite assurer la sécurité financière des travailleurs irréguliers en donnant à chacun une subvention de 500 livres égyptiennes par mois pendant trois mois. Ces travailleurs dépendent d’emplois temporaires et intermittents, payés à la tâche ou à la journée et ne disposent pas de sécurité sociale. Ils font face à des problèmes financiers du fait de l’arrêt de certaines activités ou du couvre-feu. Leurs chiffres varient fortement d’une institution à l’autre : le ministère de l’Emploi annonce qu’il y aurait près de 1,3 millions de travailleurs irréguliers dans le pays, la Central Agency for Public Mobilization et Statistics estime qu’ils seraient près de 4,3 millions tandis que le Secrétaire Général du Syndicat du Commerce en dénombre entre 12 et 14 millions. Sous la direction du ministère de la Solidarité Sociale, plusieurs ministères coopèrent afin de répartir et de distribuer cette subvention qu’un million et demi de personnes auraient demandée.
Dans un article de Egyptian Street, cette mesure est considérée comme la première étape vers une prise en compte des travailleurs dits irréguliers dans la formulation et la mise en place des politiques publiques. Elle contribuerait également dans le futur à une formalisation du secteur informel. Néanmoins, un article d’Al-Monitor montre les difficultés de ces travailleurs irréguliers à la fois à se confiner et à accéder à cette subvention.
Sécurité alimentaire pendant le Corona
En avril, l’Organisation pour la Nourriture et l’Agriculture des Nations Unies a publié un rapport concernant les effets négatifs de la crise sanitaire sur la sécurité alimentaire. Des mesures ont été prises dans le cadre des programmes des Nations Unies mais aussi de la coopération bilatérale entre l’Égypte et l’Italie afin d’assurer la sécurité alimentaire. Ces mesures sont notamment regroupées au sein du Social Welfare Project à Louxor et comprennent des aides financières, des programmes éducatifs ou encore la fourniture de repas.
D’autres initiatives ont été menées par le gouvernement égyptien : fonds pour les récoltes les plus stratégiques comme le blé, digitalisation pour continuer à informer les agriculteurs sur les mesures sanitaires et à exporter les produits frais. Le Syndicat des agriculteurs a par ailleurs lancé une campagne intitulée « Restez dans les champs – في الغيط خليك» afin d’informer les agriculteurs des mesures sanitaires et de les accompagner dans leur mise en œuvre. Le Secrétaire général du syndicat a ainsi évoqué l’idée que les agriculteurs étaient la première ligne de défense contre le virus.
Le ministère de l’Agriculture a également annoncé que 3 700 000 acres de blé avait été planté cette année pour récolter 9 millions de tonnes de cette céréale et que l’Égypte se maintenait au premier rang mondial pour la production d’olives et de l’exportation d’agrumes, insistant ainsi sur la garantie de la sécurité alimentaire grâce aux politiques gouvernementales.
Lieux touristiques et culturels : vers une digitalisation ?
Le ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités propose sur son site officiel et les réseaux sociaux des visites virtuelles des sites archéologiques et du Musée National Égyptien afin d’inciter les personnes à rester chez elle.
Cette mesure accompagne d’autres initiatives menées par différents lieux culturels en Égypte et au Caire (cinéma, théâtre, cafés-concerts…) qui fournissent gratuitement un accès à la culture ou qui maintiennent des activités virtuelles payantes (voir Revue de presse Villes, mobilités environnement – mars 2020).
La consommation d’internet a par ailleurs fortement augmenté en Égypte. S’il n’y a pas de crise numérique en raison d’infrastructures et d’équipements solides selon le gouvernement, ce dernier a tout de même annoncé la nécessité de continuer à améliorer et développer les réseaux numériques.
Gérer et expérimenter la ville au temps du Corona et du Ramadan
À nouveau, de nombreux événements ont été annulés en particulier au Caire. À partir du 5 avril, le Caire, désignée Capitale de la Culture Islamique en 2020, aurait dû être le lieu de visites guidées, de festivals et d’événements culturels. Ces événements ont été reportés. Des archéologues ainsi que le Directeur du Projet de Développement du Caire Historique reviennent sur les richesses de l’héritage architectural islamique. Le théâtre Dhamma dans le centre-ville du Caire a été fermé. Des cafés qui s’étaient installés sous le pont surplombant la corniche du Nil ont été également évacués par les forces de sécurité dans le cadre des interdictions de rassemblement.
Les campagnes de désinfection se poursuivent notamment dans le bâtiment de la radio situé dans le quartier de Maspero et qui comprend des studios, le ministère d’État de l’Information et des institutions de presse. Ces campagnes sont mises en place par le ministère de l’Agriculture et de la mise en valeur des terres et réalisées par la Direction de la médecine vétérinaire.
Le COVID-19 affecte tout particulièrement la vie et les usages de la ville pendant le Ramadan. Les tables de charité pour l’iftar (rupture du jeûne le soir), les prières collectives et les rassemblements publics si communs durant cette période ont été interdits. Certaines mesures ont néanmoins été assouplies pour cette période : à partir du 23 avril, premier jour du Ramadan, les boutiques et centres commerciaux peuvent ouvrir les week-ends jusqu’à 17 h et le début du couvre-feu qui était à 20 h depuis le 25 mars a été repoussé à 21 h. Passé cette heure, seuls les déplacements nécessaires et essentiels sont autorisés. D’autres coutumes du Ramadan sont impossibles en raison du corona : veiller tard dans les cafés de rue (ahwa-s baladi), prendre le suhur (repas qui précède le jeûne avant le lever du soleil) auprès des vendeurs de foul dans la rue. La revue Mantiqti revient en détail sur ces pratiques qui n’auront pas lieu cette année dans le centre-ville du Caire.
L’épidémie a aussi impacté les autres fêtes religieuses et populaires du mois d’avril. La Semaine sainte a été célébrée sans fidèles dans les églises coptes et la surveillance a été accrue pour Sham el-Nessim. Afin d’éviter les rassemblements et les pique-niques, plusieurs villes ont choisi d’inonder leurs parcs et jardins et la Corniche a été fermée à Alexandrie.
Egyptian Streets propose des témoignages concernant des expériences personnelles en temps de pandémie ainsi que des portfolios représentant notamment les rues du Caire vides et désinfectées mais aussi les quelques usagers de ces espaces portant des masques.
Poursuite des travaux partout dans le pays
Malgré la crise du COVID-19, le report de grands projets et le ralentissement ou la suspension de certains chantiers, la plupart des grands travaux publics se poursuivent. Le ministère du Logement a annoncé que le secteur de la construction représentait le moteur du développement et que les entreprises reprenaient leur pleine activité dès le 4 avril. Une coordination a été organisée entre les ministères du Logement et de la Santé pour assurer les mesures sanitaires. Ainsi, sur le chantier de la Nouvelle Capitale Administrative, les ouvriers doivent passer par des portails de stérilisation et les lieux sont désinfectés.
Les constructions sont particulièrement nombreuses dans les villes nouvelles. Plusieurs programmes de construction de logements sont mis en œuvre dans le pays. Ils s’inscrivent dans des projets de développement comme celui de la côte Nord-Ouest entre Al Alamein et Solloum à la frontière libyenne : nouveaux quartiers, notamment à Al Alamein el Gedida, et complexes hôteliers visant à renforcer l’attractivité touristique de la région et à créer des emplois devraient voir le jour. D’autres programmes cherchent à aider les plus démunis. C’est le cas à Sadate City où 1 470 logements sociaux sont prévus et à El Obour. 36 000 logements vont aussi être mis en vente pour les personnes à faibles revenus dans les gouvernorats de Fayoum, de Beni Suef, de Minya, d’Assiout, de Sohag, de Qena, de Louxor, de Matrouh et de la Mer Rouge.
Plusieurs grands axes du pays sont en cours de rénovation afin d’améliorer la desserte des villes nouvelles et la liaison entre les grandes villes. C’est notamment le cas de la route occidentale Le Caire-Assouan dont la première phase reliera la capitale à Minya, de la route Le Caire-Alexandrie, et de la route Alexandrie-Marsa Matrouh. Une attention particulière est portée aux voies qui mènent à 6 Octobre et qui sont d’une importance stratégique pour des dizaines de milliers de citadins et pour le secteur industriel. L’objectif est d’améliorer le trafic et de désengorger les axes préexistants. Enfin, des travaux de construction de ponts devraient permettre un franchissement plus aisé du Nil dans le Sud du pays.
Les grands ports méditerranéens d’Alexandrie et de Dakhliya sont aussi en mutation.
Le président Abdel Fattah al-Sissi a aussi demandé à ce que les projets dans le domaine des transports se poursuivent malgré la crise sanitaire, notamment la finalisation de la troisième ligne de métro du Caire.
Le 22 avril, Abdel Fattah al-Sissi a assisté à la dernière étape du forage d’un tunnel sous le Canal de Suez. Ce projet permettant de connecter le Sinaï au reste du pays s’inscrit dans un ensemble de grands projets : entre autres, des clusters résidentiels et agricoles, une usine de désalinisation de l’eau dans la ville d’el-Arish et un complexe industriel dans la région de Jafafa. Dans son discours d’inauguration, il a ainsi annoncé que 600 milliards de livres égyptiennes ont été dépensés dans les projets d’infrastructures au Sinaï. Al-Monitor analyse le discours des différents acteurs impliqués : ces grands projets sont stratégiques pour le gouvernement car ils sont considérés comme un facteur de stabilité du pays et un outil pour combattre le terrorisme tout en envoyant un message d’espoir en termes de développement économique aussi bien à la population nationale qu’à la communauté internationale.
Le Caire : vers un embellissement de la ville
Au Caire, la première phase des travaux du projet «ممشى أهل مصر » (la Promenade du peuple d’Égypte) a commencé entre les ponts du 15 mai et d’Imbaba. Il s’agit d’un programme national de mise en valeur du front d’eau fluvial qui, à terme, prévoit l’aménagement des berges du Nil en promenade plantée depuis la Haute-Égypte jusqu’au Delta. Dans la capitale, le projet comprend la construction d’un port de plaisance et l’installation de fontaines, de restaurants, de cafés, de magasins, d’un théâtre de plein air où seront organisés des concerts. Les arbres permettront une végétalisation de la ville. S’inspirant de modèles internationaux, il s’inscrit dans une double dynamique de requalification de la Corniche en espace public par le développement d’activités récréatives, et plus globalement de lutte contre les constructions spontanées sur les bords du Nil à l’échelle nationale. Il permettra également de mieux canaliser le fleuve par l’artificialisation des berges sensée limiter l’érosion, comme l’explique un article plus détaillé de Youm7 de décembre 2019. Les gouvernorats espèrent ainsi créer des emplois et replacer le Nil au cœur des projets de développement urbain.
Le paysage urbain du centre-ville continue à se transformer. Les travaux de la place Tahrir entrent dans leur phase finale. Afin d’en assurer la sécurité, le Premier ministre a annoncé le recours à une entreprise de surveillance qui vérifiera à ce que l’obélisque, les fontaines et les béliers originaires de Louxor récemment installés au centre de la place ne soient pas dégradés. Le gouvernorat du Caire assurera la gestion et l’entretien du site. Par ailleurs, trois tours résidentielles sont prévues dans le triangle de Maspero. Afin de réduire la présence des voitures dans les rues du centre, de lutter contre le stationnement illégal et de fluidifier le trafic, le gouvernorat du Caire a demandé aux chefs de districts de faire respecter la législation et de redonner aux garages souterrains existants leur fonction initiale après que des citadins se les sont appropriés à des fins de stockage.
Au niveau culturel, le musée de la Civilisation égyptienne à Fustat fait peau neuve et le projet de musée dans la Nouvelle Capitale avance également. Ce musée devrait raconter l’histoire des capitales égyptiennes depuis l’Antiquité.
Lutte contre l’urbanisation informelle
S’appuyant sur la lutte contre le COVID-19, le Premier ministre égyptien a annoncé des mesures plus fermes à l’encontre de l’urbanisation informelle. Cette annonce s’inscrit dans une série d’actions menées depuis 2015 pour limiter et raser les empiètements perpétrés sur les terres agricoles, en particulier le long du Nil. D’après le CAPMAS, le pays aurait perdu 400 000 feddans entre 2010 et 2016 à cause de l’étalement urbain informel.
Une véritable opération de communication semble avoir été mise en œuvre sur ce point. Le ministère du Développement local annonce quasi-quotidiennement des opérations de destruction des constructions spontanées. Ainsi, près de 60 articles leur sont consacrés dans Al Masri Al Youm sur l’ensemble du mois d’avril. Ces opérations sont menées sur tout le territoire, tant en zone urbaine qu’en zone rurale, au Caire, dans les villes nouvelles et dans tous les gouvernorats.
Ces mesures s’inscrivent parfois dans des projets urbanistiques plus larges. C’est le cas à Alexandrie où l’habitat informel s’est largement développé depuis 2011. Un projet vise à raser ces zones pour construire de nouveaux quartiers d’ici 2030 avec un budget de 811 millions de livres. L’objectif est d’apporter un certain nombre de services dans ces quartiers, mais aussi de procéder à un embellissement pour faire de la Corniche une vitrine de la ville.
Environnement, des engagements pour plus de durabilité
Alors que le président Abdel Fattah al-Sissi ratifie l’amendement de Doha de 2012 des accords de Kyoto sur le réchauffement climatique, le pays s’engage dans de nouveaux projets de développement durable. La ministre de l’Environnement, Yasmine Fouad, supervise un plan de prise en compte et d’adaptation du pays face aux changements globaux, en phase avec les préconisations du PNUD. Les régions du Delta et de la Côte Nord sont particulièrement vulnérables. La construction de barrages devrait protéger les zones basses des risques de submersion. Des mesures ont également été prises pour préserver les plages.
Les efforts pour un meilleur traitement des déchets se poursuivent à l’échelle nationale avec le déplacement de décharges informelles. À Mansoura, une montagne de déchets haute de 35 mètres et remontant à la fin des années 1980 a commencé à être évacuée au début du mois. Une usine de recyclage devrait aussi être construite. Dans cette ville, où les ordures s’amoncellent au sein des quartiers populaires, la gestion des déchets est un enjeu primordial. Le gouvernorat y lance un programme de prélèvement des ordures à la souche. Cette collecte à domicile des déchets est aussi à l’étude à Assiout avec l’aide d’ONG. Par ailleurs, des poubelles ont été installées dans le centre de Tanta. L’objectif est entre autres d’éviter la présence des chiens errants et de nuisibles.
Le Grand Barrage de la Renaissance : la réponse de l’Éthiopie
L’Éthiopie maintient sa décision unilatérale de remplir le Grand Barrage de la Renaissance à partir de juin. En réponse aux voyages diplomatiques du ministre égyptien des Affaires Étrangères (voir Revue de presse Villes, mobilités environnement – mars 2020), le président éthiopien, Sahle-Work Zewde, a également mené des visites diplomatiques au Kenya, Ouganda et Rwanda qui sont membres de l’Initiative du bassin du Nil, une organisation régionale qui gère la coopération entre les pays du bassin du Nil. L’Égypte s’est retirée de cette initiative en 2010.
L’Éthiopie accuse l’Égypte d’imposer une domination coloniale sur les eaux du Nil tandis que l’Égypte affirme qu’il s’agit de propagande et qu’elle a toujours respecté les termes de la Déclaration de principes signée en 2015. Un ancien ministre égyptien des ressources en eau et de l’irrigation affirme que le projet éthiopien va à l’encontre de conventions internationales en matière environnementale, sociale et économique. Un article d’Al Monitor rend compte de ces débats en lien avec les accords régionaux et internationaux signés par les différents pays.
Florian Bonnefoi et Laura Monfleur