Définir une politique environnementale nationale
Les principaux secteurs concernés : déchets, énergie, transports
Le gouvernement égyptien avec la ministre de l’environnement, Yasmin Fouad, en tête, affiche son engagement depuis plusieurs mois pour la protection de l’environnement, notamment dans le Grand Caire. C’est dans cette perspective qu’une réunion avec des représentants de la Banque mondiale a été organisée en décembre 2019 pour discuter d’un projet de contrôle de la pollution aérienne. Plus généralement, trois axes semblent structurer les politiques publiques égyptiennes en matière d’environnement : le traitement des déchets dans la capitale, le recours croissant aux énergies renouvelables (éolienne et solaire) et le développement des transports électriques.
La préoccupation des autorités pour la gestion des déchets n’est pas récente et de nombreuses initiatives ont été annoncées, sans être forcément suivies d’effets (cf. Revue de presse Ville – Novembre 2018). Mais ces impératifs sanitaires et les plaintes des habitants ont récemment justifié le renvoi des responsables des quartiers d’Helwan et d’Al-Marj par le ministre du Développement local, Mahmoud Shaarawy. Cela fait en effet suite à une accumulation de matériaux de construction dans les rues et à l’incapacité des services publics et privés à répondre à cette crise. Selon un article scientifique de 2015, l’Egypte est par ailleurs le deuxième pays du Moyen-Orient à produire le plus de déchets plastiques (5,4 millions de tonnes par an), après la Turquie, ce qui en fait une des priorités environnementales pour le gouvernement.
Dans le domaine de l’énergie, la nécessité de limiter l’utilisation des énergies fossiles et de développer les sources renouvelables s’impose. Cette transition énergétique est montrée comme indispensable par Egyptian streets, dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique. Elle n’est pour l’instant concrète que dans l’inauguration d’immenses sites, comme la ferme éolienne de Gabal El Zeit (juillet 2018), à proximité de la mer Rouge, ou ce qui doit être le plus grand rassemblement de centrales électriques solaires du monde, dans la région d’Assouan (octobre 2019). Ces projets sont systématiquement associés à des objectifs nationaux, et notamment celui de parvenir à 20% d’électricité produite par les énergies renouvelables en 2022. En parallèle, la croissance démographique et l’augmentation de la demande nécessiteraient selon les autorités des investissements dans le secteur du nucléaire, encore peu développé en Egypte.
Les discours environnementaux se traduisent également par une volonté de multiplier les transports publics électriques. L’inauguration en décembre dernier de la ligne de bus électriques entre la place Tahrir et l’université américaine (AUC), en desservant, entre autres, la gare Ramsès et le quartier d’Abbassiya, s’inscrit dans cette politique. L’Autorité pour les transports publics cherche ainsi à limiter la pollution atmosphérique et l’engorgement de la capitale, ce qui passe également par une lutte contre les moyens de transport traditionnels, comme les tuktuks.
Un discours ambigu, entre intérêts économiques et protection de l’environnement
Les acteurs publics ne se contentent pas de développer les transports en commun, comme le métro, dont le ticket est toujours plus cher, mais aussi de remplacer les moyens plus populaires par des véhicules électriques. Si la volonté d’éliminer les tuktuks du Grand Caire était jusqu’alors justifiée par le danger qu’ils représentent pour la sécurité des habitants et l’informalité des échanges économiques qui y sont associés, l’argument environnemental est désormais activement mobilisé. Se débarrasser des tuktuks est associé à la modernisation de la ville, à l’encadrement d’un système hors statistiques, mais aussi à la diminution de la pollution atmosphérique, suivant ainsi les recommandations générales de la Banque mondiale pour améliorer le système de transports cairote.
La cause environnementale devient un argument supplémentaire dans la mise en place de projets de modernisation urbaine, mais les discours qui y sont associés restent ambigus. Le lancement en novembre 2019 d’une campagne nationale pour planter un million d’arbres, dont 3500 dans le quartier populaire de Shubra el Kheima et sur une surface totale de 2700 feddans (1000 ha.), rappelle la création d’espaces verts sur les toits de certains bâtiments ministériels. Mais ces initiatives, censées lutter contre la pollution urbaine, entrent en contradiction avec des projets parallèles, comme celui de la construction d’un système de ponts à Heliopolis, qui a imposé l’arrachage de 550 arbres dans la rue Abu Bakr.
Les considérations économiques, de rénovation du réseau routier, et l’impératif d’amélioration de l’image de la ville l’emportent ici sur les préoccupations environnementales. Cela montre que la prise en compte des enjeux climatiques semble ici conforter les discours portés par les organisations internationales, visant une modernisation et un assainissement global du Grand Caire.
Aménager le centre-ville
Un centre qui tombe en ruines, surtout une question d’apparence : marché d’Ataba, Boulaq et Abdeen
Le site Mantiqti, spécialisé dans l’actualité du centre-ville du Caire, a relayé de nombreux cas de détérioration du bâti, allant de l’incendie à l’effondrement, ce qui impose une adaptation des politiques publiques. Alors qu’un ancien immeuble s’est écroulé en décembre dernier dans le quartier populaire de Boulaq, sans faire de victime, une campagne de destruction de bâtiments présentant un danger imminent a été lancée en décembre dernier à Abdeen.
Le marché d’Ataba, dont une partie a brûlé en juin 2019, fait lui l’objet d’une attention particulière de l’exécutif égyptien. Le premier ministre, Mustafa Madbouli, a en effet présidé, un mois après l’accident, une réunion sur le développement du quartier d’Ataba. Construit en 1891, ce marché de légumes est en effet doté d’une valeur patrimoniale particulière, par son histoire, son architecture et sa situation. Les propositions de réhabilitation consistent essentiellement en une mise aux normes du bâtiment, voire un déménagement des activités commerciales dans un autre marché, afin de faire de l’édifice initial un espace touristique.
Si le gouverneur du Caire estime que l’incendie est le résultat d’une accumulation des petits marchands informels dans ou à proximité du site, l’intérêt des pouvoirs publics pour le marché d’Ataba s’inscrit surtout dans un contexte de développement de la valeur patrimoniale du Caire dit khédivial. Face à la dégradation et la précarisation du bâti dans le centre-ville, les préoccupations touristiques (sauver la façade, encadrer l’économie locale, mettre en valeur l’histoire du quartier) semblent primer systématiquement sur des considérations plus sociales.
Détruire, relocaliser, développer
La même logique s’est traduite dans le quartier d’Ain al Sira, plus au sud, par la démolition de 241 immeubles, la relocalisation de 69 familles dans la ville nouvelle du 6 Octobre, à l’ouest du Caire, et des nombreuses tanneries qui y étaient installées vers le Robeiky Textile Complex, à proximité de New Heliopolis. Il s’agit pour le premier ministre d’ « augmenter l’efficacité de cette zone » (Al Qarar Al Arabi), où l’on trouve également le musée de la Civilisation et le lac d’Ain al Sira. La comparaison des deux images satellites ci-dessous (Google Earth, décembre 2018/octobre 2019) montre que la zone touchée par ces destructions est directement à proximité du lac, ce qui ouvre la possibilité d’une mise en valeur touristique du plan d’eau.
Comme dans le cas de Maspero (cf. Revue de presse Ville – Novembre 2018), l’aménagement des quartiers centraux ou péricentraux au Caire passe donc par une destruction du bâti existant, la plupart du temps résidentiel, un relogement des populations et activités concernées en périphérie et l’annonce de projets de développement, cherchant à profiter des aménités locales. Cette politique urbaine, qui s’associe à une amélioration des infrastructures de transport pour connecter ces espaces revalorisés, s’inscrit bien dans la promotion touristique du Caire historique, par rapport à la Nouvelle capitale, qui doit concentrer le reste des fonctions économiques et administratives.
Contrôler l’espace public
Les fêtes de fin d’année, dans un contexte de menace terroriste, ont été l’occasion d’un renforcement important de la sécurité autour des lieux religieux chrétiens et de certaines mosquées. L’armée a été déployée et des procédures d’inspection, des checkpoints et un contrôle des rues environnantes ont été mis en place par les autorités locales. Si Al-Monitor replace ces mesures de sécurité dans le contexte de l’intensification de la lutte contre le terrorisme en Egypte, Jaddaliya, média indépendant édité par l’Institut d’études arabes basé à Washington, propose une analyse de la sécurisation de l’espace public et de la société. L’auteure revient notamment sur l’inefficacité des dispositifs de sécurité déployés et le manque de lutte, sur le long terme, contre la discrimination des populations coptes.
Dans un tout autre registre, mais relevant d’une même logique d’accentuation du contrôle de l’Etat sur les espaces urbains, une loi sur la « décence publique » a été soumise le 30 octobre dernier au Parlement. La députée Ghada Ajami, qui avait déjà proposé l’interdiction du port du voile dans les espaces publics, souhaitait ainsi par manque d’objectif clair et contradiction avec la constitution.
Reconquérir une région marginalisée, le Sinaï
La péninsule du Sinaï est historiquement considérée comme stratégique par l’Etat égyptien, d’un point de vue politique et militaire, mais la gestion de cette zone s’impose aujourd’hui également comme un enjeu économique. Dans un contexte de sécurisation de la région, appuyée récemment par les Etats-Unis, de poursuite des opérations militaires et de lutte contre les groupes terroristes qui s’y maintiennent, il s’agit bien sûr pour l’Egypte de recouvrir sa souveraineté politique, mais on observe une diversification récente des outils mis en œuvre à cette fin.
Alors que les attentats continuent de rendre la péninsule instable, notamment dans sa partie nord, l’Egypte a récemment accéléré l’application d’un plan de développement pour le Sinaï, relancé en 2018, mais dont on trouve les premières traces dès 1998. Le ministre de l’aménagement a en effet affirmé, en novembre 2019, l’investissement de 316 millions de dollars pour la reconstruction du Nord Sinaï, en se concentrant principalement sur les infrastructures de transport, sur l’irrigation, l’agriculture et l’éducation.
Plusieurs mesures ont ainsi été annoncées :
– pour mettre fin à l’enclavement de la région, quatre nouveaux tunnels ont été inaugurés pour mieux relier le Sinaï au delta et à la vallée du Nil. Le site DW interroge néanmoins la capacité de ces infrastructures à répondre à la marginalisation de cette région en crise.
– onze pôles de développement doivent être installés pour constituer des nouvelles communautés agricoles dans la péninsule. Une loterie est en effet organisée pour l’attribution de terrains désertiques, appartenant à l’Etat. Il suffit d’avoir entre 20 et 50 ans et d’être exclusivement de nationalité égyptienne pour soumettre sa candidature. Ces projets sont censés profiter à 1 337 familles, dont 602 dans la partie nord et 585 au sud. L’Etat subventionne ainsi l’installation de populations au Sinaï et tente de rendre la région attractive par la mise en place d’infrastructures de services adaptées.
– cela s’associe au développement de sites industriels, comme le Marble Factories Complex, ouvert dans le Centre Sinaï. L’objectif est ici d’exploiter les ressources naturelles de la région, notamment le sable, et de créer des emplois.
– la revalorisation du centre et du nord de la péninsule peut enfin être associée à la mise en avant des stations touristiques de la côte sud. La multiplication des forums et la modernisation de l’aéroport doivent faire de Charm el-Cheikh un pôle de développement, attractif à l’échelle internationale.
Au-delà de réintégrer un territoire longtemps marginalisé, les différentes dimensions de ce plan entrent dans une politique plus large de rééquilibrage du développement vers l’est. La construction de la nouvelle capitale et les projets industriels autour du canal de Suez doivent également participer à réduire la pression démographique dans la vallée et le delta. L’Etat s’est engagé dès la période nasserienne dans la bonification des terres désertiques et l’extension des terres agricoles aux marges du delta[1]. Dans le Sinaï, le difficile accès aux ressources hydrauliques et la persistance de la menace terroriste semblent néanmoins limiter le développement économique et humain de la région. Le site libanais Al-Akhbar relève enfin la forte implication des services de renseignement dans la gestion des nouvelles communautés agricoles et les enjeux fonciers associés à ces projets.
[1] Acloque, D. (2017). Recomposition des acteurs et des espaces agricoles égyptiens : enjeux politiques, socio-économiques et alimentaires. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, juin(3), 457-482. doi:10.3917/reru.173.0457.