La gestion des ressources nationales : vers l’autosuffisance ?
Les ambiguïtés du discours d’autosuffisance sur les ressources gazières
Dans un contexte d’augmentation de la demande et de débats sur la dépendance de l’Egypte à l’importation de gaz, le ministre du Pétrole et des ressources minérales, Tarek el-Mulla, a mis en avant l’augmentation de la production domestique de gaz. L’objectif annoncé est de faire du pays un acteur gazier autosuffisant et d’étendre le réseau de distribution sur tout le territoire. Cela s’associe à une politique de libéralisation des prix de l’énergie et, notamment, de réductions pour les industries nationales, comme le ciment ou la sidérurgie. L’autonomie énergétique est donc considérée comme une étape vers l’affirmation de la puissance industrielle et économique de l’Egypte.
Ce discours est néanmoins contredit par le maintien, voire l’augmentation des importations de gaz en provenance d’Israël, ce qui conduit Al-Monitor à s’interroger sur la pertinence de l’objectif d’autosuffisance. Reuters confirme en effet que les entreprises israéliennes qui exploitent les champs gaziers de Léviathan et de Tamar (Israël/Chypre) ont annoncé un doublement des exportations vers l’Egypte, sur une période de 15 ans. Ces accords commerciaux s’inscrivent dans un contexte d’amélioration des relations avec Israël, mais surtout de volonté de redéfinition de la place de l’Egypte dans la région.
L’ouverture vers le gaz israélien, renforcée par le recours, à partir de septembre 2019 du pipeline East Mediterranean Gas, n’est pas perçue comme une dépendance pour l’Egypte, mais plutôt comme un moyen de renforcer sa position de hub régional d’exportation. La mise en avant de ses deux terminaux de liquéfaction (Damiette et Idku), l’inauguration du site d’exploitation de Zohr en mer Méditerranée et la multiplication des accords avec Chypre entrent également dans cette stratégie (voir Revue de presse Ressources – Octobre 2018). Celle-ci s’inscrit enfin dans la perspective d’une revente de ce gaz liquéfié vers les pays de l’Union européenne, qui cherchent des voies d’approvisionnement alternatives à celles proposées par la Russie et Gazprom.
Améliorer l’approvisionnement en eau
Alors que les négociations avec l’Ethiopie et le Soudan sur le Grand barrage de la renaissance restent sans succès, malgré la médiation américaine, les inquiétudes du gouvernement égyptien concernant l’approvisionnement en eau du pays s’intensifient. Devant la crainte d’une sécheresse nationale, un nouveau projet de loi sur la gestion des ressources hydrauliques a été approuvé en novembre 2019. Il prévoit notamment l’allégement des procédures administratives, la révision des tarifs pour les petits consommateurs, la régulation du trafic fluvial et l’amélioration de l’encadrement de la consommation dans les zones désertiques.
Ce volontarisme affiché correspond à une stratégie plus large de réforme de l’agriculture et de l’irrigation. La réduction du gaspillage, l’entretien du système de canaux et d’évacuation à l’échelle nationale ou encore la réutilisation des eaux usées des espaces agricoles doivent permettre, entre autres, de faire face à la croissance démographique et au fait que la consommation a dépassé l’approvisionnement. Selon Egyptian Streets, alors que les ressources nationales ne fournissent que 60 millions de mètres cubes d’eau, la consommation agricole, industrielle et ménagère atteint 114 millions de mètres cube. Des projets de constitution de réservoirs à partir des crues du Nil, une application ou encore de désalinisation des eaux sont également mentionnés.
=> La gestion des ressources nationales, hydrauliques ou gazières, fait donc l’objet d’un même discours de nécessité d’autonomie nationale. Mais, ces stratégies d’indépendance s’inscrivent surtout dans la quête d’un statut de puissance régionale, en renforçant ses relations de voisinage et en s’alignant sur le discours des institutions internationales comme l’AFD et la FAO, qui promeuvent des objectifs de développement durable et d’amélioration de la productivité agricole.
Une capitale à plusieurs vitesses
Le Caire bipolaire
Plusieurs médias égyptiens, dont Egypt Today ou Egypt Independent, ont relayé l’annonce du ministre du Logement, Assem el-Gazzar, du futur aménagement de la place Tahrir, dans le centre-ville du Caire, en « lieu touristique ». Concrètement, le ministère prévoit l’installation d’un obélisque, le dégagement des façades, la rénovation des routes, la plantation d’arbres et « l’unification » progressive des devantures de magasin, selon Mantiqti, site d’information spécialisé sur les évolutions du centre-ville de la capitale égyptienne.
Cette nouvelle déclaration s’inscrit dans une politique plus large qui vise à faire du Caire un pôle touristique, en valorisant la dimension culturelle et historique des quartiers centraux. La rénovation de la place Tahrir, qui est encore un symbole de la révolution de 2011, malgré les aménagements successifs pour empêcher les rassemblements, coïncide avec le déménagement en cours du musée national vers le cluster touristique autour des pyramides de Gizeh. Ces deux espaces seraient ainsi les principaux sites d’une capitale tournée vers le tourisme et vidée de ses fonctions administratives, relocalisées vers la Nouvelle capitale administrative, à 45 kilomètres à l’est du Caire historique.
La nouvelle capitale en construction, dont certains s’interrogent encore sur sa finalisation, fait l’objet d’investissements étrangers, à l’instar de la société chinoise CSCEC (China State Construction Engineering) qui doit construire une vingtaine de tours dans le quartier d’affaires. Une intense campagne de communication est menée autour de l’un de ces édifices, une tour de 385 mètres, ce qui en fera le bâtiment le plus élevé sur le contient africain. La délocalisation des différentes institutions et administrations du pays vers cette capitale dans le désert s’accompagne donc d’une course aux records et au gigantisme.
Les espaces périphériques, entre rénovation et construction
Entre ces deux pôles, touristique et historique d’un côté, administratif et économique de l’autre, les villes nouvelles et les quartiers informels sont principalement des espaces résidentiels. Dans un contexte de boom de l’immobilier depuis 2014 et de forte croissance démographique, l’enjeu pour les autorités égyptiennes est de construire des compounds, ou résidences fermées, à destination des populations les plus aisées et de rénover progressivement les quartiers informels (ashwayyat).
Dans cette perspective, l’Assemblée des ministres égyptiens (ou Cabinet d’Egypte) a validé en novembre dernier le prêt de 500 millions de dollars proposé par la Banque mondiale pour mettre en œuvre le Programme de financement pour un logement inclusif (Inclusive Housing Finance Program). Ce projet, approuvé dès mai 2015, « atteindra 4,2 millions de personnes, dont environ 1,6 million de bénéficiaires sous le seuil de pauvreté », selon le site de la Banque mondiale. Il s’inscrit dans la continuité du « Programme de logement social », lancé par l’Egypte en 2014, et qui devait atteindre un million de citoyens parmi les classes les moins aisées. Ces projets de construction, qui doivent se concentrer autour du Grand Caire, d’Alexandrie et de Zaqazig dans le delta (pour plus de détails sur la localisation prévue de ces unités de logement, voir le rapport de la Banque mondiale, p.38) posent néanmoins la question de leur capacité à attirer réellement les populations, étant donné le manque d’infrastructures de base et l’éloignement par rapport aux lieux de travail.
=> La politique d’affirmation du statut régional, voire international, de l’Egypte se traduit donc également par un réaménagement des espaces urbains du Caire : un centre-ville historique et touristique, des périphéries résidentielles et un nouveau centre d’affaires. Ce zonage fonctionnel s’inscrit dans un objectif similaire de promotion de la capitale comme vitrine de la modernité du pays.
Aménager le territoire national
Villes nouvelles, villes fantômes ?
Alors que la population égyptienne est concentrée dans la vallée et le delta du Nil et que la capitale cairote est perçue comme surpeuplée, le gouvernement continue une politique urbaine déjà initiée par Gamal Abdel Nasser : la construction de villes nouvelles en périphérie, en vue d’un rééquilibrage démographique. Quatorze villes nouvelles de « quatrième génération » sont ainsi en cours de construction, dans le cadre de la vision Egypt 2052, dont un des objectifs est d’augmenter les zones urbaines de 14%, principalement sur les zones désertiques.
New Alamein, située à l’extrémité ouest du delta, à 130 kilomètres d’Alexandrie, fait partie des villes nouvelles les plus médiatisées. L’Etat y a investi 180 millions de dollars, elle est censée accueillir deux millions de personnes et elle est présentée comme correspondant à tous les standards internationaux d’accueil, de luxe et d’infrastructures touristiques. La marina, les grands hôtels et les centres commerciaux sont mis en avant pour attirer population et investisseurs.
Al-Monitor décrit néanmoins ces espaces comme des « villes fantômes » car, malgré un objectif de désengorgement du delta et de la capitale, elles peinent à se peupler. Les villes nouvelles du Grand Caire n’ont ainsi capté que 14% de la croissance démographique de l’agglomération entre 2006 et 2016, ce qui atteste de leur incapacité à attirer les habitants de la capitale. Cela s’explique par le fait que les infrastructures ne suivent pas l’étalement urbain, mais aussi par les prix excessifs de l’immobilier : un mètre carré à New Alamein coûte 42 000 livres égyptiennes, contre 11 000 à New Cairo. Ces villes nouvelles ne constituent donc pas une alternative viable à la pression démographique sur les quartiers informels, mais plutôt des espaces ouverts aux investisseurs internationaux, voire selon la presse aux touristes.
Le réseau ferroviaire au cœur des débats
L’aménagement des infrastructures de transports est directement associé à l’extension des espaces urbains, dans un double objectif de maillage du territoire et de connexion de ces supposés nouveaux pôles de développement. Le débat sur le réseau ferroviaire égyptien, déjà virulent suite à l’accident de la gare Ramsès en février 2019 (voir Revue de presse Ville – mars/avril 2019), a été récemment ravivé par un nouveau fait divers. La mort d’un passager, jeté du train en marche par le contrôleur car il n’avait pas de billet, a provoqué une forte émotion dans l’opinion publique égyptienne.
Si le ministre des Transports affirme qu’il s’agit d’un événement isolé, l’accident a été l’occasion d’une remise en cause généralisée du gouvernement et d’une dénonciation des conditions de transport sur les réseaux sociaux. Cette vague de protestations a contraint le président Abdel Fattah al-Sissi à appeler à une rapide amélioration du réseau ferroviaire national, sans beaucoup plus de précisions. Outre l’annonce d’efforts pour s’adapter aux standards internationaux de sécurité, c’est un rappel des projets déjà en cours qui semble avoir servi de réponse à la pression populaire.
On peut notamment retenir le monorail en construction entre la Nouvelle capitale et la ville du 6-Octobre, ou encore l’achèvement de la ligne entre New Alamein et Ain Sokhna, sur la mer Rouge. Ce dernier projet est mené en collaboration avec l’entreprise américaine Progress Rail Locomotives. Concernant le réseau existant, un prêt de 205 millions de dollars de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) pour la rénovation de la ligne 1 du métro (Helwan-El Marg) a récemment été validé et un rapport conduit sur l’état de 217 stations de train permettent de a été publié. Toutefois, de la même façon qu’à la suite de l’accident de la gare Ramsès, le gouvernement met en avant la construction de nouvelles infrastructures, qui relient les villes nouvelles entre elles, et reste évasif sur la restauration des lignes existantes.