Revue de presse Société – mars 2019
Culture et patrimoine
L’écrivain Alaa El-Aswani poursuivi par la justice militaire égyptienne
L’écrivain égyptien Alaa El-Aswani a fait l’objet en mars de nouvelles poursuites judiciaires engagées par le parquet général militaire. L’auteur de « L’immeuble Yacoubian » (paru en 2006) est inquiété par la justice pour « insultes envers le président, les forces armées et les institutions judiciaires égyptiens ». En cause : la sévère critique du régime que l’auteur dresse dans son dernier roman, « J’ai couru vers le Nil » (paru en 2018), un vibrant témoignage de la féroce répression des manifestants de la Place Tahrir pendant les soulèvements de 2011. Certains articles publiés sur la plateforme arabe de la radio-télévision publique allemande, Deutsche Welle, au fil desquels l’auteur critique l’armée égyptienne, sont aussi en cause.
Une plainte a effectivement été déposée contre M. El-Aswani peu après la publication d’une chronique dans laquelle ce dernier dénonçait le gigantisme des projets immobiliers du président Al-Sissi. Cette nouvelle attaque judiciaire est loin de décourager l’écrivain qui a déclaré : « Ce que vous considérez comme un crime, je le considère comme un devoir ».
Ce n’est pas la première fois que l’écrivain et essayiste est condamné par la justice. En 2014, il s’était vu refuser d’intervenir dans certains médias et en 2015, un séminaire qu’il organisait avait été interdit. L’auteur est aussi interdit de publication en Egypte depuis cinq ans.
Alaa El-Aswani, plusieurs fois récompensé pour son oeuvre et traduit en une trentaine de langues, est l’un des écrivains arabes contemporains les plus connus dans le monde. Il enseigne aujourd’hui la littérature aux Etats-Unis. Auteur engagé en faveur de la démocratie dans son pays, il est notamment l’un des membres fondateurs du mouvement politique « Kifaya » (« ça suffit ») en 2004. Son engagement auprès des révolutionnaires égyptiens en 2011 a largement inspiré son dernier roman, censuré dans de nombreux pays arabes exceptés la Tunisie, le Maroc et le Liban.
En bref
- L’acteur égyptien Rami Malek a reçu l’Oscar du meilleur acteur lors de la 91ème cérémonie des Academy Awards pour le rôle dans le biopic « Bohemian Rhapsody», retraçant le parcours du chanteur Freddie Mercury. Il s’agit du premier américain d’origine égyptienne et arabe à remporter un Oscar. Célébré en Egypte suite à cette victoire, certains journalistes s’interrogent toutefois sur le sens à donner à cette « success story » alors que l’acteur incarnait une personnalité ouvertement homosexuelle et eu égard au sort réservé aux minorités sexuelles en Egypte. La ministre égyptienne de l’Immigration, Nabila Makram, avait été la première autorité à saluer l’acteur, soulignant qu’il était « le fils des émigrés d’Egypte ».
- Le patrimoine antique égyptien est à l’honneur à Paris au mois de mars et jusqu’à septembre 2019. L’exposition « Toutankhamon – Le Trésor du Pharaon», qui rassemble près de 150 objets et antiquités, découverts en 1922 dans la chambre funéraire du pharaon, devrait attirer des dizaines de milliers de curieux. Après la France, l’exposition s’envolera pour l’Australie puis la Corée du Sud, avant que les antiquités ne retrouvent leur place au Musée Egyptien du Caire. Cette exposition se tient cinquante ans après le dernier passage du Pharaon à Paris en 1967, qui avait attiré2 millions de visiteurs. Les expositions temporaires à l’étranger sont le résultat d’une politique engagée par le ministère des Antiquités pour promouvoir le tourisme en Egypte et accroître les revenus du ministère. La première exposition du genre engagée par l’actuel ministre des Antiquités, Khaled Anany, a eu lieu au Canada en 2018, et portait sur l’ère Fatimide.
- L’acteur et comédien égyptien Amr Waked a été condamné par la justice militaire à huit ans de prison pour « propagation de fausses informations » et « insulte à l’Etat ». Il avait dénoncé l’exécution de 15 prisonniers. L’artiste, engagé pour la protection des droits de l’Homme en Egypte, avait quitté le pays en 2017, menacé de poursuites judiciaires. Amr Waked ainsi que l’acteur Khaled Abol Naga, ont par ailleurs été exclus du Syndicat égyptien des acteurs pour avoir critiqué le régime à l’occasion d’une audition du Congrès américain.
- Fondée en 1919, l’Université Américaine du Caire célèbre en 2019 son centième anniversaire. Plus ancienne université privée d’Egypte, l’institution a constitué un centre intellectuel de prime importance dans le pays tout au long du XXème siècle : c’est notamment en 1951, que depuis l’Université américaine, s’élance un cortège de près de 1.500 femmes réclamant le droit de vote, accordé par le gouvernement en 1956. Parmi les nombreux événements célébrant son centenaire, l’université a organisé en mars une conférence en hommage à la mémoire de Nadia Younes, diplomate égyptienne s’étant distinguée au sein des agences de l’ONU, et décédée dans l’explosion d’une bombe en Irak en 2003.
Santé
Le gouvernement lance plusieurs campagnes de dépistage
Le président Al-Sissi a annoncé lors de forum de la Jeunesse Arabe et Africaine d’Assouan en mars le lancement d’une nouvelle phase de la campagne de dépistage de l’Hépatite C engagée en octobre 2018 et devant s’achever en avril 2019. Jusqu’à présent, près de 30 millions d’Egyptiens entre 19 et 59 ans ont été dépistés, selon les autorités, alors que l’objectif annoncé est de 50 millions de personnes. L’enjeu est de taille puisque, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Egypte présente la plus grande prévalence à l’Hépatite C dans le monde avec près de 12 millions de personnes concernées. Tous les ans, 40.000 Egyptiens en meurent et 165.000 nouveaux cas sont découverts.
Par ailleurs, les ministres de la Santé et de l’Education ont annoncé le lancement d’une nouvelle campagne contre l’anémie, le nanisme et l’obésité chez les enfants âgés de six à douze ans. La première phase de la campagne, qui s’est achevée en avril, visait à toucher 11,5 millions d’écoliers. Les enfants concernés par ces pathologies se verront proposer des soins gratuits.
Enfin, la ministre de la Santé a annoncé à la fin du mois de février le lancement d’une nouvelle campagne de lutte et de vaccination contre la poliomyélite, une maladie qui touche essentiellement les enfants de moins de cinq ans.
En bref
- Le gouvernera d’Assouan a inauguré au début du mois de mars le premier hôpital flottant du Moyen Orient. Cet hôpital, qui parcourra les eaux du Nil entre Assouan et Le Caire pendant 90 jours, compte plusieurs cliniques, laboratoires et pharmacies et s’arrêtera dans les espaces peu dotés en infrastructures sanitaires. Ce projet est le fruit d’une coopération entre le Rotary Club d’Egypte et le ministère de la Santé.
- La faculté des Arts de l’Université d’Aïn Shams a lancé sa première infrastructure à destination des étudiants en situation de handicap. Dotée de matériel et d’équipement adaptés, l’infrastructure a pour objectif de garantir à tous les étudiants un accès égal à l’éducation et lutter contre la discrimination que subissent les jeunes handicapés dans l’accès à l’enseignement supérieur. Le projet est soutenu par la société Ethedico Petrochemical Companyet le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
Religion
Al-Azhar et le Vatican aux Emirats Arabes Unis pour le dialogue inter-confessionnel et la paix
A l’occasion de la Conférence mondiale pour la Fraternité humaine qui s’est tenue aux Emirats Arabes Unis, le Pape François, en déplacement pour la première fois dans la péninsule Arabique, et le Grand Imam d’Al Azhar, Ahmed El Tayyeb, ont signé une déclaration prônant la paix et la coexistence. Ce document historique lie le Vatican et Al-Azhar dans leurs efforts communs contre l’extrémisme et la violence au nom des religions. Les deux dignitaires ont par ailleurs appelé de leurs vœux un plus grand dialogue inter-religieux. Le Grand imam d’Al Azhar a quant à lui appelé les musulmans à intégrer les chrétiens au sein de leurs communautés.
Les deux responsables religieux ont reçu des mains de l’émir de Dubaï et Premier ministre des Emirats Arabes Unis, Mohammed bin Rashid, le prix de la Fraternité humaine « Dar Zayed ».
La Conférence mondiale pour la Fraternité humaine a réuni à Abu Dhabi près de 700 intellectuels, hommes politiques et dignitaires religieux entre le 3 et le 5 février.
En bref
Le tribunal de Damanhour a requis la peine capitale pour deux moines pour le meurtre de leur supérieur hiérarchique au monastère de Anba Makar, survenu l’an dernier. L’un des deux accusés faisait déjà l’objet d’une enquête interne pour certaines comportements contraires aux règles de la vie monastique. Le drame a poussé le Pape de l’Eglise Copte égyptienne, Théodore II, à engager un certain nombre de réformes concernant l’encadrements des moines en monastères (accès restreint aux réseaux sociaux, encadrement des permissions…).
Droit des femmes
Polémiques autour des déclarations de l’Imam d’Al Azhar contre la polygamie
Le cheikh Ahmed El Tayeb, Grand Imam de la Grande Mosquée d’Al Azhar, a créé la polémique en déclarant dans son émission télévisée hebdomadaire que la polygamie telle que pratiquée de nos jours est contraire aux enseignements du Coran et aux intérêts de la femme et de l’enfant, dont le bien-être doit primer. S’il a souligné qu’il ne condamnait pas la polygamie, il a rappelé qu’elle devait être pratiquée sans que la première femme ou les enfants n’en subissent les conséquences.
En Egypte, la polygamie est autorisée, sous la condition que le chef de famille informe sa première femme de sa volonté de se marier de nouveau. A cet égard, la première femme dispose d’un an pour demander le divorce si elle s’oppose à un nouveau mariage de son mari. Une disposition juridique toutefois peu respectée et peu contraignante pour le mari.
En réponse aux déclarations du cheikh, certains leaders salafistes, en particulier le prêcheur Sameh Abdel Hamid Hamouda, ont encouragé les hommes à pratiquer la polygamie.
De leur côté, les associations de défense des droits des femmes ont eu des réactions dans l’ensemble positives. Sur les réseaux sociaux, le Conseil National pour les Femmes a salué la déclaration de l’imam d’Al Azhar. Nihad Abu Al-Qomsan, présidente du Centre Egyptien pour les Droits des Femmes, a déploré le caractère tardif de la déclaration de l’imam El Tayeb, tout en soulignant que la stabilité d’un couple repose sur la réciprocité de la relation.
En bref
Le 8 mars, l’Egypte a célébré les femmes à l’occasion de la Journée Internationale des Droits de la Femme, l’occasion pour les organisations de défense des femmes de faire le bilan. Pour le Centre National des Femmes, l’amélioration de la condition des femmes est tangible et les engagements pris par le gouvernement en ce sens sont un signal positif. Selon certains éditorialistes toutefois, les efforts à déployer sont encore titanesques. De la culpabilité quasi-systémique des femmes dans les affaires de moeurs à l’impunités des hommes, la protection juridique et sociale des femmes est encore précaire.
H.S.