RESSOURCES HYDRIQUES : UNE EXPLOITATION CONTROVERSEE
Un nouveau tournant dans l’exploitation hydroélectrique des eaux du Nil
La Tanzanie a attribué à l’entreprise publique égyptienne Arab Contractors en novembre 2018 le projet d’étude et de réalisation du barrage hydroélectrique de Stiegler’s George, d’une puissance de 2 100 MW sur la rivière du Rufiji.
Cette décision, prise en dehors du cadre du Nile Basin Initiative (NBI), traduit un changement du statut de l’Egypte dans l’équilibre régional, explique le média Al Monitor. Le NBI est un partenariat intergouvernemental cherchant à promouvoir le développement multilatéral des infrastructures sur le Nil. Considérant que la médiation de cette institution ne lui permettait pas de préserver son influence dans la région, l’Egypte s’est retirée de la structure en refusant de signer le traité d’Entebbe de 2010. En effet, en plus de refuser la reconnaissance des « droits historiques » égyptiens sur les eaux du Nil, le fonctionnement du NBI sous le régime de la majorité (vs unanimité) amenuise le poids de l’Egypte dans les négociations.
La prise en charge de la construction du barrage de Stiegler’s George devrait permettre à l’Egypte de consolider sa présence régionale et d’asseoir son expertise technique dans le domaine de l’hydroélectricité. Ayant refusé les règles multilatérales établies par le NBI, l’Egypte poursuit ainsi bilatéralement sa politique d’aide au développement. Le barrage devrait en effet diminuer à terme la dépendance hydroélectrique de la Tanzanie aux eaux issues du lac Victoria, source du Nil, permettant ainsi de rallier la Tanzanie à la cause égyptienne dans le conflit autour du barrage de la Renaissance. Moins dépendante des eaux du Nil, la Tanzanie serait ainsi un adversaire de moins pour l’Egypte dans la bataille pour la répartition des quotas entre les puissances du bassin du Nil.
Accroissement des réseaux fluviaux : l’Egypte au cœur d’une nouvelle Route de la Soie ?
La deuxième étude de faisabilité du projet de réseau fluvial reliant le lac Victoria à la mer Méditerranée (Victoria-Mediterranean Waterway Project) s’est achevée avec succès en décembre 2018. Ce projet, qui vise à créer une voie unique de transports de biens et de marchandises traversant l’ensemble du bassin du Nil avec pour débouché le canal de Suez, placerait l’Egypte au cœur du réseau de transport commercial d’Afrique de l’Est.
La poursuite du projet, dont le coût est estimé à près de 12 milliards de dollars, est conditionnée à son approbation par un nombre suffisant de bailleurs, parmi lesquels la Banque Africaine de Développement et la Chine. Pour cette dernière, il s’agirait de parachever la réalisation d’une nouvelle « Route de la Soie », telle que le président Xi Jinping l’avait annoncée en 2015. Fondée sur les principes d’interconnexion, de circulation des monnaies et de développement d’intérêts communs, ce projet devrait renforcer l’influence chinoise en Afrique de l’Est, tout en favorisant le désenclavement de la région.
Dispositifs concrets de lutte contre la précarité hydrique
L’attention croissante portée à la préservation des ressources hydriques s’est concrétisée par le développement d’initiatives privées communes à l’ensemble des pays MENA (Moyen Orient – Afrique du Nord), particulièrement affectés par la pénurie d’eau. Un grand nombre de start-ups, dont le financement s’est vu dynamisé par la Cairo Water Week d’octobre 2018, ont proposé des solutions innovantes visant à être diffusées à grande échelle dans la région, et particulièrement en Egypte. C’est le cas par exemple de Water Dynamic (localisation interactive des zones souffrant de problèmes d’approvisionnement et de traitement), de SOS Eau (diffusion locale de procédés de préservation de l’eau) ou de Clean2O (mise à disposition de filtres).
La lutte contre la précarité hydrique à l’échelle locale passe par des moyens de plus en plus diversifiés, comme le souligne le nouveau plan d’action gouvernemental lancé fin novembre afin de rationaliser l’usage de l’eau dans les lieux de culte égyptiens. La collaboration entre le ministère des Biens de Mainmorte (biens inaliénables du domaine public) et le ministère de l’Eau et de l’Irrigation a permis la mise en place d’un système de gestion expérimental pour la mosquée de Sayyida Nafisa au Caire. Ce système repose sur l’introduction d’un administrateur venant remplacer l’imam dans les tâches de gestion, en particulier pour le traitement de l’eau.
Le deuxième volet du dispositif testé à Sayyida Nafisa, l’apposition d’embouts spécifiques dans les bassins d’ablution, permettrait, s’il est diffusé à l’échelle du pays, de diminuer la consommation annuelle d’eau égyptienne de l’équivalent de près de 10% de la consommation hydrique annuelle des ménages, soit 1 milliard de m3.
Les prêches eux-mêmes sont investis dans la politique de sensibilisation à la précarité hydrique, par le biais de leçons hebdomadaires et de sermons trimestriels dédiés à cette thématique.
HYDROCARBURES : VERS UNE LIBERALISATION DU FIOUL
La libéralisation du fioul, une condition essentielle du prêt du FMI
Le prêt de 12 milliards de dollars octroyé par le FMI au gouvernement égyptien en 2016 est conditionné à la réforme profonde du système de fixation des prix de l’essence, estimé trop coûteux pour permettre le respect des critères budgétaires et financiers imposés. Les plans successifs proposés par le gouvernement pour indexer les prix de l’essence aux fluctuations d’indicateurs internationaux n’ayant pas été jugés satisfaisants, le FMI a annoncé le gel du versement de la 5ème tranche du prêt, due en décembre 2018, sanctionnant ainsi le manquement aux conditions initiales de l’accord.
Le premier ministre égyptien Mostafa Madbuly a réagi en proposant par un décret du 30 décembre 2018 un échéancier d’application de cette réforme, combinant la levée totale des subventions et l’indexation automatique des prix de l’essence.
La disparition progressive des subventions sur le fioul
Le système de subventions en vigueur n’est pas conditionnel aux revenus, et consiste en une aide en nature à l’approvisionnement en fioul, explique le journal Mada Masr. Il présente le double problème de peser lourdement sur le budget de l’Etat et d’être peu redistributif, les consommateurs premiers de fioul étant des industriels, partie de la tranche aisée de la population. Si la levée progressive des subventions (notamment sur l’octane 95, principal fioul utilisé) depuis 2014 a davantage impacté les industriels en termes de valeur absolue, l’inflation qui en résulte a principalement entamé le pouvoir d’achat des ménages à faibles revenus, accentuant ainsi leur paupérisation. Le dernier plan du gouvernement envisage la levée définitive de toutes les subventions sur le fioul d’ici septembre 2019.
La mise en place d’un mécanisme d’indexation automatique des prix du fioul
Le second volet de la réforme, qui doit entrer en vigueur à partir de mars 2019, viendra fixer trimestriellement les prix du fioul en les indexant au taux de change de la Livre Egyptienne (LE), et au cours de pétrole mondial de référence. Là où la disparition des subventions se traduit automatiquement par une augmentation des prix pour le consommateur, l’indexation des prix aux cours internationaux pourrait pour sa part entraîner une baisse des prix locaux en cas d’appréciation de la LE, ou de diminution du cours mondial de pétrole, suggère le journal Al Ahram.
Un rapport publié par la banque d’investissement égyptienne Shuaa prévoit néanmoins une augmentation des prix à moyen terme suite à la mise en œuvre du nouveau système, et cela malgré un contexte économique mondial favorable (chute du cours du pétrole).
Alicia Herrera Masurel