Visite d’Al-Sissi aux États-Unis
Abdel Fattah Al-Sissi s’est rendu à l’Assemblée Générale des Nations Unies qui se tenait à New York le 25 septembre, en profitant pour s’entretenir avec son homologue américain. Si les deux chefs de l’État entretiennent nombre de positions politiques communes (hostilité vis-à-vis des Frères musulmans et du Qatar par exemple), d’autres dossiers, comme la crise syrienne, apparaissent plus délicats. Donald Trump a en effet appelé au départ de Bachar al-Assad, tandis que l’Égypte a maintenu ses réserves et souligné les risques d’une nouvelle déstabilisation régionale.
L’autre point de discorde concerne le déplacement à Jérusalem, en mai dernier, de l’ambassade américaine auprès d’Israël. Cette décision place les autorités égyptiennes dans une situation compliquée, les obligeant à jouer les équilibristes entre défenseurs de la cause arabe et palestinienne et acteurs d’une real politik arabe notamment menée par l’Arabie Saoudite, et de moins en moins favorable à la cause palestinienne. Lors de son intervention devant l’assemblée générale des Nations Unies, Al-Sissi a appelé les Palestiniens à être « prêts à accepter une coexistence » avec Israël, tout en rappelant, qu’un État palestinien indépendant était une « pré-condition » à la stabilité de la région.
Accord russo-égyptien
Lors de sa visite officielle en Russie mi-octobre, le président égyptien a rencontré Vladimir Poutine, avec lequel il a abordé des questions politiques, économiques et sécuritaires. Sur la crise syrienne, les deux chefs de l’État ont partagé des vues communes quant à la nécessité de préserver la Syrie d’un « changement de régime ». Quant à la crise libyenne, ils ont réaffirmé leur soutien au leader de l’Armée nationale libyenne, le maréchal Haftar.
Sur le plan économique, les deux pays ont signé de multiples accords. La Russie a signé un contrat de 1,3 milliard d’euros avec l’Égypte pour l’acheminement de 1300 wagons de trains, qui s’ajouteront aux 2500 wagons égyptiens déjà en circulation. Concernant la construction de la centrale nucléaire d’Al-Dabaa que la Russie finance par l’intermédiaire d’un prêt octroyé à l’Égypte, les débuts des travaux ont été annoncés pour 2020.
Les deux présidents ont également discuté du projet de création d’une zone logistique et industrielle russe dans la région du Canal de Suez, pour attirer près de 7 milliards de dollars d’investissements et créer près de 35000 emplois selon V. Poutine. Cette zone industrielle comprendra des domaines variés tels que la pétrochimie, l’énergie, l’automobile et le bâtiment. C’est la première fois que la Russie envisage un tel projet dans un pays étranger.
Enfin, la signature d’un partenariat global et de coopération stratégique a consacré le rapprochement des deux pays. Cet accord prévoit une plus grande coopération entre l’Égypte et la Russie dans les domaines militaire et technique. La coordination bilatérale se fera désormais au niveau des présidents, des ministres de l’intérieur et des services de sécurités et de renseignements. Si cet accord est annoncé un peu hâtivement comme un tournant stratégique par la presse officielle, il n’en reste pas moins un indicateur des rapports qu’entretient l’Égypte avec ses partenaires régionaux.
L’élimination des Frères musulmans, toujours une priorité pour le pouvoir
Dans un entretien accordé au journal koweitien Al-Shaed, le président Abdel Fattah Al-Sissi est revenu sur la question des Frères musulmans et de leur participation à la vie politique. Ce dernier a été très clair en ce qui concerne l’organisation : « Les Frères n’auront plus jamais de rôle à jouer aussi longtemps que je serai au pouvoir ». Pour le président égyptien, c’est l’idéologie de l’organisation qui doit être mise en cause. La doctrine « frériste » relève selon lui d’une interprétation pervertie du texte coranique et s’oppose à une vision modérée de l’islam. En ce sens, Al-Sissi a appelé le clergé musulman à réformer le discours religieux et à endiguer la pensée « extrémiste » qui toucherait particulièrement les jeunes. De même, le président considère l’organisation comme directement responsable du chaos dans les pays arabes, notamment en Syrie, en Libye et au Yémen.
Cette position n’est pas nouvelle. Déjà en 2014, lors de la campagne présidentielle, Al-Sissi avait rappelé à de nombreuses occasions qu’il n’y avait pas d’avenir politique pour l’organisation. Quatre ans plus tard, l’exclusion des Frères musulmans du jeu politique, mais aussi de l’administration publique et plus généralement de la vie sociale reste une priorité pour le gouvernement.
Les récentes décisions de justice concernant le sit-in de Rabaa et le « massacre de Kerdasa » vont dans ce sens. Après plus de deux années d’audience, la Cour criminelle du Caire a rendu début septembre son verdict final concernant 734 prévenus dans le procès du sit-in de Rabaa, violemment dispersé par les forces de police et l’armée égyptienne du 14 au 18 août 2013 (environ un millier de morts). 75 personnes ont été condamnées à mort, 47 personnes à la prison à vie, 374 personnes à 15 ans de prison, et 215 personnes à 5 ans de prison (dont le photojournaliste Shawkan, qui a déjà passé plus de cinq années derrière les barreaux et n’a toujours pas été libéré). Quelques semaines plus tard, la Cour de Cassation a confirmé la condamnation à mort de 20 membres des Frères musulmans (et la prison à perpétuité pour 80 autres) accusés de l’assassinat de 12 officiers de police et de deux civils à Kerdasa (Giza) en 2013. Des peines de 15 et 10 ans de prison ont également été prononcées à l’encontre de 35 autres prévenus.
Liberté de la presse : durcissement juridique
Le 1er septembre, Abdel Fattah Al-Sissi a ratifié la loi portant sur l’organisation de la presse. Adoptée le 16 juillet par le Parlement, celle-ci donne une base légale à la politique de contrôle par les autorités égyptiennes de la presse papier, de la presse en ligne et des réseaux sociaux.
Elle accorde tout d’abord des prérogatives étendues au Conseil supérieur de l’information, créé en 2016 par décret présidentiel et dont la majorité des membres est désignée par le gouvernement. Celui-ci peut désormais interdire la diffusion de contenus papier et en ligne dont la diffusion « porte atteinte à la sécurité nationale » (paragraphe 2, art. 4) et ce, sans l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire
La nouvelle loi encadre aussi strictement le travail des journalistes en les obligeant à demander systématiquement une autorisation officielle avant de mener des interviews dans les lieux publics ou de couvrir des évènements spontanés n’ayant pas encore fait l’objet de communiqués officiels. Il ne s’agit là que de la consécration juridique d’une politique préexistante, les journalistes étant déjà sévèrement limités dans leur travail par les autorités.
Cette loi interdit aux journaux, mais aussi à tous les médias en ligne, de « diffuser des informations mensongères » ou d’inciter « à la violation de la loi » (art. 29). Lors des débats parlementaires portant sur cet article, les élus de la coalition majoritaire ont évoqué la nécessité de concilier « liberté et responsabilité » de la presse. Selon Amnesty International, la rédaction floue de cet article représenterait une menace pour la liberté de la presse, en permettant aux autorités égyptiennes une interprétation large et partisane.
Enfin, l’objectif de cette loi est d’accroître la surveillance des publications en ligne et de limiter ainsi leur usage à des fins contestataires, en généralisant le contrôle de tous les sites personnels, blogs et comptes sur les réseaux sociaux qui sont suivis par plus de 5000 internautes.
La loi ne modifiera sans doute pas fondamentalement la manière dont l’État contrôle la presse et les publications en ligne. En effet, avant même sa promulgation et donc l’existence d’un cadre légal, de nombreux journalistes avaient déjà été arrêtés et des centaines de sites bloqués sans justifications officielles. Elle donne cependant un cadre légal à la politique liberticide déjà exercée par les autorités.
Prolongation de l’état d’urgence
Le 21 octobre, le Parlement égyptien a approuvé le décret présidentiel prolongeant de trois mois, et pour la cinquième fois depuis sa déclaration en avril 2017, l’état d’urgence. Le premier ministre égyptien, Moustafa Madbouly, a justifié cette décision par l’évolution de la situation sécuritaire au Sinaï ainsi que par la nécessité d’instaurer un climat de sécurité dans les villes afin de favoriser le développement du pays.
L’article 154 de la Constitution égyptienne prévoit la possibilité d’une prolongation de l’état d’urgence tous les trois mois, sous réserve de l’approbation du Parlement. Certains élus opposés à cette loi ont dénoncé une violation de l’esprit de la Constitution en faisant un parallèle avec les trente-et-une années d’état d’urgence (1981 – 2012) de la présidence de Hosni Moubarak. Au début de l’année 2012, l’état d’urgence avait permis à la coalition dirigeante d’emprisonner de nombreux opposants, avant d’être levé en mai 2012, avant l’élection présidentielle et la victoire de Mohamed Morsi.
Le président Al-Sissi avait réinstauré ce régime d’exception pour la première fois après les attentats contre deux églises coptes, en avril 2017, au cours desquels 45 personnes avaient été tuées. Le 11 octobre 2018, un tribunal militaire a condamné 17 personnes à la peine capitale et 19 à la prison à perpétuité pour leur implication dans ces attentats.
La prolongation de l’état d’urgence intervient dans une période de forte tension sécuritaire au Sinaï et, dans une moindre mesure, dans les régions du Delta du Nil et du Désert occidental. Les attaques terroristes qui ont régulièrement lieu dans le nord du Sinaï se sont multipliées depuis le lancement début 2018 d’opérations militaires de grande envergure. Ainsi, le 25 octobre, deux civils ont été tués dans l’explosion d’un engin artisanal tandis que le 21 octobre, quatre civils ont perdu la vie dans une attaque visant un check-point de l’armée égyptienne. Fin octobre, le porte-parole de l’armée égyptienne a indiqué qu’en neuf mois d’opération militaire, l’armée égyptienne avait éliminé 450 « terroristes » et démantelé 1200 engins explosifs.
Alexandre D’Espinose et Pierre De Basquiat