Résumé :
Dans mon ouvrage, tiré de ma thèse, je propose d’étudier le politique ailleurs que dans les oppositions, en explorant les ressorts de l’engagement et les logiques d’action au sein d’un parti
hégémonique au pouvoir. À partir d’une enquête de terrain menée au Yémen entre 2008 et 2011 dans différentes sections locales du Congrès Populaire Général (CPG – al-mu’tamar al-sha‘bî al-‘âmm), j’interroge les pratiques militantes ordinaires et les investissements dont le parti fait l’objet et montre que loin de l’opposition réductrice entre « participation » et « contestation »,
ce dernier est le support d’attentes, de revendications et de pratiques plurielles. Le CPG constitue un observatoire privilégié pour interroger l’exercice de la domination – ses
modes d’imposition et de contournement – dans un contexte où le régime autoritaire se trouve contesté. Loin de constituer un amalgame homogène des soutiens au président au sein duquel la discipline irait de soi, le parti est travaillé par de profonds clivages (politiques, économiques, sociaux, générationnels, régionaux, etc.) ainsi que des logiques d’action variées et originales.
Au pouvoir depuis sa création en 1982 et fonde sur l’accommodation historique d’acteurs politiques divers, le CPG forme un cadre dans lequel opèrent et se déploient les réseaux de
patronage du président Ali Abdallah Saleh (1978-2012). La structure de l’échange politique qui en résulte favorise certes le développement de dépendances matérielles mais celles-ci n’excluent pas, si ce n’est entretiennent, des formes multiples d’attachement affectif et idéologique au parti au pouvoir.
Je souligne dans ce travail les ambivalences du soutien au régime autoritaire, l’évolution du régime d’obligations et de contraintes qui en découle, ainsi que l’ambivalence et la réversibilité
de l’obéissance et du consentement. J’invite ainsi à interroger les ressorts du fonctionnement et de la résilience d’un régime autoritaire et à dépasser les lectures fonctionnalistes réduisant le parti hégémonique soit à un instrument de reproduction du régime autoritaire, soit à celui de son irrésistible réforme.
Biographie :
Marine Poirier : chercheuse en science politique au CEDEJ (Le Caire), je m’intéresse aux mobilisations partisanes, aux coalitions dirigeantes et à la sociologie des partis hégémoniques ou majoritaires en contexte autoritaire. J’ai publié plusieurs articles sur les mobilisations et le processus révolutionnaire de 2011 et coordonné un ouvrage sur les recompositions de la société yéménite. J’ai également travaillé sur les mobilisations électorales et codirigé un ouvrage collectif proposant un éclairage ethnographique et comparatif du Faire campagne. Je m’intéresse aujourd’hui aux transformations des scènes partisanes yéménite et égyptienne post 2011 et aux redéploiements des coalitions dirigeantes.