Politique intérieure
Opération Sinaï 2018 : la liste des violations des droits humains s’allonge
Human Rights Watch a dénoncé le 22 mai des démolitions généralisées de maisons et des expulsions forcées dans le gouvernorat du Sinaï Nord dans le cadre de la campagne militaire anti-terroriste lancée en février dernier (cf. revue de presse Politique, mars 2018).
Après analyse d’images satellite, l’ONG affirme que ces démolitions, effectuées sans supervision judiciaire, dépassent largement les zones tampons sécuritaires établies près d’al-Arish et de Rafah. L’armée aurait démoli plusieurs logements en guise de représailles contre des individus soupçonnés de terrorisme et contre des opposants politiques et leurs familles.
Le porte-parole de l’armée égyptienne Tamer al-Rafa a nié le 23 mai les accusations faites aux forces de sécurité égyptiennes. Il a affirmé que le rapport en question était basé sur des sources non documentées et non officielles. L’État égyptien a selon lui prévu de fournir une compensation financière pour les populations déplacées suite à ces démolitions (jusqu’à 900 millions de livres égyptiennes, soit 43 millions d’euros) et continuerait de fournir une assistance humanitaire aux résidents.
Élections syndicales : le gouvernement accusé d’ingérence
Les élections syndicales ont débuté le 23 mai, après 12 ans d’interruption et sont divisées en trois phases : les élections des comités syndicaux d’entreprises les 23 et 31 mai, les élections des conseils syndicaux le 7 juin et les élections générales des syndicats le 13 juin.
Ces élections interviennent suite à l’adoption d’une nouvelle loi sur les syndicats, votée le 19 décembre dernier. Celle-ci renforce le contrôle du gouvernement sur les syndicats, officiels comme indépendants, et les oblige à régulariser leur position conformément à cette loi. Cela concerne par exemple le quorum nécessaire pour former un syndicat général excluant de fait les petites structures indépendantes.
Dans le cadre de ces élections, le gouvernement égyptien est accusé d’écarter les candidats des organisations ouvrières indépendantes. Les syndicats indépendants dénoncent les pressions et les entraves du comité de supervision des élections dans la validation des listes électorales. Le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme déplore ainsi un « processus d’exclusion systématique » concernant plus de 1 500 dirigeants syndicaux actifs de la liste des candidats du gouvernorat du Caire.
El-Sissi prête serment pour un second mandat présidentiel
Le président Abdel Fattah El-Sissi a prêté serment devant le Parlement le 2 juin, consacrant ainsi le début de son deuxième mandat à la tête de l’Égypte. La cérémonie a été retransmise en direct à la télévision. L’arrivée du président a été saluée par 21 coups de canon tandis que des hélicoptères survolaient le centre-ville. Des avions de chasse ont dessiné le drapeau de l’Égypte dans le ciel du Caire.
Un début de mandat marqué par une vague d’arrestations
Les autorités égyptiennes ont procédé depuis le début du mois de mai à une série d’arrestations d’activistes pacifiques opposés à la politique du président El-Sissi. Parmi eux, l’activiste politique Hazem Abd Al Azim, le journaliste et défenseur des droits humains Wael Abbas, le médecin Shady Al Ghazaly Harb, l’avocat Haitham Mohamadeen, l’humoriste Shady Abu Zaid et l’activiste féministe Amal Fathy. Les charges retenues contre eux sont manifestement liées à leurs prises de position sur les réseaux sociaux.
Ismaël Alexandrani, journaliste et chercheur spécialiste du mouvement djihahiste dans le Sinaï, a été condamné à 10 ans de prison le 22 mai par une cour militaire égyptienne. Il a été accusé d’appartenir à la confrérie des Frères musulmans, de diffuser dans ses articles des informations susceptibles de menacer la sécurité nationale ainsi que des secrets militaires. Maintenu en détention provisoire depuis novembre 2015, il avait été arrêté de retour de Berlin à l’aéroport d’Hurghada.
L’Union européenne a officiellement communiqué sa préoccupation le 30 mai face au « nombre croissant d’arrestations de défenseurs des droits de l’homme, de militants politiques et de blogueurs ces dernières semaines en Égypte ».
Remaniement ministériel en cours
Le 7 juin, le président El-Sissi a demandé au ministre du Logement sortant Mustapha Madbouly de former un nouveau gouvernement. Le nouveau Premier ministre succède à Chérif Ismaïl, à la tête du gouvernement depuis 2015. Madbouly avait déjà assuré l’intérim de son prédécesseur entre novembre 2017 et janvier 2018, lorsque celui-ci se trouvait en Allemagne pour un traitement médical. Il devrait finaliser la formation de son gouvernement la semaine prochaine et prêter serment devant le Parlement d’ici le 15 juin.
Un remaniement ministériel limité avait eu lieu en janvier dernier, à quelques mois de l’échéance présidentielle (cf. revue de presse Politique, janvier/février 2018).
Politique extérieure
Palestine : création d’un « grand Gaza » dans le Sinaï ?
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a affirmé le 30 avril que le président Mohamed Morsi avait proposé au peuple palestinien une partie du Sinaï pour y établir un « État aux frontières temporaires ». Cette offre aurait selon lui été acceptée par le Hamas. Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne refusent quant à eux l’établissement d’un foyer national situé hors de la Palestine originelle. Plusieurs officiels égyptiens en poste sous la présidence de Morsi ont publiquement démenti ces propos.
En novembre 2017, la BBC avait rapporté qu’avant lui, le président Hosni Moubarak avait accepté de céder une partie de la péninsule à la demande des États-Unis en 1982, au lendemain de l’invasion israélienne du Liban. Le président déchu a nié l’authenticité des documents publiés par la chaîne britannique.
Des plans de partage du Sinaï à l’initiative des autorités israéliennes auraient également été soumis à l’administration d’El-Sissi, qui aurait systématiquement refusé.
L’idée d’un foyer de peuplement palestinien dans le Sinaï remonte à 1953. A l’époque, le gouvernement égyptien et l’UNRWA projettent, face à l’explosion démographique dans la bande de Gaza – sous administration égyptienne –, de pourvoir 50 000 feddans du nord-ouest de la péninsule aux réfugiés palestiniens. Ce projet a été refusé par les Palestiniens car il constitue selon eux une capitulation face à la progression de l’occupation israélienne.
Gaza : la diplomatie égyptienne s’active
La diplomatie égyptienne est intervenue le 29 mai auprès du Hamas, du mouvement du Jihad islamique et d’Israël pour tenter d’endiguer l’escalade des hostilités. Les frappes de part et d’autre ont été les plus intenses depuis le conflit de 2014.
Ces affrontements font suite à l’inauguration de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem le 14 mai dernier et la très violente répression israélienne des manifestations palestiniennes de la « marche du retour » (cf. revue de presse Politique, avril 2018).
Syrie : pas d’intervention militaire de l’Égypte
Un rapport publié le 16 avril par le Wall Street Journal souligne la volonté de l’administration américaine de remplacer ses forces militaires présentes en Syrie par des forces arabes. L’Égypte a cependant signifié son intention de ne pas engager ses troupes hors des frontières nationales. Le souvenir de l’expérience désastreuse dans la guerre civile au Yémen du nord (1962-1970), aussi surnommée la « guerre du Viêt Nam de l’Égypte », et dans la guerre des Six Jours de 1967 contre Israël, continue de marquer les esprits.
L’Égypte ne prône cependant pas une doctrine isolationniste totale puisqu’elle fait partie de la coalition arabe sous commandement saoudien engagée militairement depuis 2015 au Yémen. Des navires de guerres ainsi que 800 soldats égyptiens ont été déployés dans le cadre des opérations Tempête décisive (mars-avril 2015) et Restaurer l’espoir (avril 2015-auj.).
Orane NOZI