Attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire récente de l’Égypte
Au moins 308 personnes – dont 27 enfants – sont mortes lors d’une attaque terroriste survenue à l’heure de la grande prière hebdomadaire, vendredi 24 novembre, dans le village de Bir Al-Abed situé à 40 kilomètres d’al-Arich, la capitale de la province du nord-Sinaï. L’attentat a fait 128 blessés.
Le nord-Sinaï est le théâtre d’une insurrection armée islamiste depuis la destitution du président Morsi en 2013. Si, dans un premier temps, les attaques sont restées isolées dans cette région, elles se sont rapidement étendues au reste de l’Égypte. Cette attaque peut être perçue comme l’échec de la lutte antiterroriste conduite par les autorités dont les habitants subissent les conséquences – le régime d’exception de l’état d’urgence est en vigueur dans le nord-Sinaï depuis 2014 – et dont le bilan humain est important – environ 1 000 soldats sont décédés dont 200 en 2017.
L’attaque, non revendiquée, a visé la mosquée Al-Rawda, où se pratique un islam dit soufi. Les soufis constituent une cible privilégiée des groupes intégristes sunnites qui leur reprochent une forme de polythéisme et une innovation dans les rites. Dans un entretien publié en janvier 2017 dans le journal de propagande de l’Organisation État Islamique (OEI) “Rumiyah”, le commandant de l’OEI pour le nord-Sinaï exprimait sa haine contre les soufis et leurs pratiques. La ville de Al-Rawdah y était identifiée comme l’une des trois cibles prioritaires de l’organisation.
Selon les autorités égyptiennes, le groupe djihadiste Ansar Beit Al-Maqdis (Les Partisans de Jérusalem) pourrait avoir commandité l’attaque. Ce groupe a prêté allégeance à l’organisation Al-Qaida en 2013 avant de se tourner vers l’OEI depuis 2014. Le groupe serait responsable de plusieurs attaques dans la région, qui ont visé principalement les policiers, les militaires et les bâtiments officiels de l’État égyptien, ou encore les pipelines acheminant le gaz égyptien vers Israël et la Jordanie.
Selon certaines sources locales, la totalité des victimes de l’attentat seraient issues de la tribu des Sawarka, deuxième tribu la plus importante et la plus puissante dans cette région bédouine après celle des Tarabin. Depuis l’insurrection djihadiste dans le nord-Sinaï, les grandes familles bédouines sont divisées sur l’attitude à adopter quant à l’avancée des djihadistes et la collaboration avec les services de sécurité. Ces derniers, assimilés au pouvoir central du Caire, souffrent d’une image négative auprès des populations locales qui manquent de services publics de base et qui subissent leurs exactions sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Dans une allocution télévisée, retransmise le soir des attaques, le président Abdel Fatah Al-Sissi a promis que la réponse contre les terroristes « serait brutale », soit exclusivement militaire, et a décrété trois jours de deuil national. Parallèlement, le Conseil supérieur des ordres soufis a annulé la marche prévue au Caire, vendredi 1er décembre, à l’occasion du mawlid an-nabawi (la naissance du prophète) pour des raisons de sécurité. À la suite de l’allocution, des clips télévisuels ont été diffusés à la gloire de l’armée nationale, relayant des enregistrements de bombardements aériens effectués par les forces armées contre des cibles présentées comme djihadistes dans le Sinaï.
Vague d’arrestations dans la communauté LGBT
Selon l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, une organisation non-gouvernementale, 57 personnes ont été arrêtées entre mi-septembre et début octobre en raison de leurs liens supposés ou réels avec la cause Lesbien-Gay-Bisexuel-Transexuel (LGBT). Plusieurs d’entre elles ont été condamnées à des peines d’emprisonnement ferme. Ces arrestations surviennent après que des drapeaux LGBT aient été brandis lors du concert du groupe libanais Mashrouʿ Leila au Cairo Festival, vendredi 22 septembre. Les drapeaux portés par des spectateurs ont provoqué des débats sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision.
Le groupe musical est connu pour évoquer, dans ses chansons, des thèmes liés aux libertés individuelles, et critiquer les conservatismes sociaux. L’homosexualité affichée du leader, Hammed Sinno, a fait l’objet de polémiques antérieures. Le groupe est interdit de concert en Jordanie, où les autorités l’accusent de promouvoir le « satanisme ». Le syndicat des musiciens égyptien, très conservateur et proche du pouvoir politique, a annoncé que le groupe de rock libanais ne serait plus autorisé à se produire.
Al-Azhar, principale institution de l’islam sunnite et l’Église copte ont manifesté leur rejet de l’homosexualité, présentée comme une pathologie, et affirmé leur soutien aux arrestations menées par la police. L’institution chrétienne a même profité de la controverse provoquée par le concert du groupe libanais pour annoncer l’organisation prochaine d’une conférence sur les dangers et les moyens de guérir de l’homosexualité.
À la suite du concert, une proposition de loi a été déposée au Parlement visant à criminaliser l’homosexualité. Les peines de prison encourues seraient comprises entre 10 et 15 ans afin de « protéger les valeurs et coutumes » qui régissent la société égyptienne. Si l’homosexualité n’est pas explicitement répréhensible selon le Code pénal égyptien, elle est en réalité violemment réprimée. En 2001, une cinquantaine d’hommes avaient été arrêtés à la sortie d’une boîte de nuit, en raison de leur présumée homosexualité. Aujourd’hui, les militants ou sympathisants de la cause LGBT sont poursuivis, dans la plupart des cas pour « incitation à la débauche », voire pour « débauche ».
Le Caire, mégalopole la plus dangereuse au monde pour les femmes ?
Selon une étude publiée par la Fondation Thomson Reuters en octobre 2017, la capitale égyptienne serait la mégalopole la plus dangereuse au monde pour les femmes. Construite à partir d’une enquête menée par téléphone auprès d’un panel de 380 personnes entre juin et juillet 2017, l’étude s’appuie sur quatre critères pour classer 19 villes : les violences sexuelles, l’accès à la santé, les pratiques culturelles et les opportunités économiques. Le Caire se classerait dans le trio de tête des pires villes pour chacune des catégories mentionnées. La capitale égyptienne serait première pour les pratiques culturelles préjudiciables, en raison de l’ampleur des mutilations génitales – illégales depuis 2008 – et de la fréquence des mariages forcés. Elle se classe seconde au regard de la médiocrité des opportunités économiques offertes aux femmes – liées au taux d’alphabétisation bas de la population féminine, à leur accès restreint à l’éducation supérieure et à leur faible participation au marché du travail. Elle arrive 3e pour les violences sexuelles, incluant le harcèlement de rue. Pour les experts de la Fondation Thomson Reuters, la situation se serait aggravée depuis la révolution de 2011, au cours de laquelle plusieurs journalistes égyptiennes et occidentales ont été victimes d’agression sexuelle (cf. Égypte/Monde Arabe n°13, 2015).
La question des violences faites aux femmes constitue une priorité affichée par de nombreux hommes politiques égyptiens. Réagissant à la publication de la Fondation Reuters, Naglaa el-Adly, membre du Conseil National pour la Femme, organisme public officiellement indépendant du gouvernement, a affirmé qu’il existe une volonté politique chez tous les ministres et dans les administrations pour améliorer la condition de la femme. En effet, si le président égyptien a réagi dans un premier temps en réfutant la dangerosité de la ville pour les femmes et en pointant les limites des sources de la Fondation, il a reconnu l’existence d’un problème de harcèlement sexuel et rappelé celle de dispositifs législatifs devant être davantage mobilisés afin de condamner les coupables. Le chef de l’État avait fait voter, en 2014, une loi plus sévère contre le harcèlement sexuel – portant la condamnation minimale à six mois de prison et une amende allant jusqu’à 5000 LE, soit 238 euros – mais, selon les défenseurs de droit, les inculpations restent rares. Il paraît encore compliqué de mobiliser ces outils judiciaires, notamment en raison du manque de formation des forces de l’ordre pour recevoir les témoignages des victimes. Plusieurs activistes féministes ont rappelé que la question des violences faites aux femmes devait s’analyser au travers de problématiques plus larges, comme la croissance du taux de chômage et l’absence de maîtrise de la démographie.
Dans un contexte international marqué par la dénonciation des violences faites aux femmes, après les révélations survenues dans le milieu artistique américain, de nombreuses initiatives citoyennes se développent en Égypte. Citons l’application HarassMap, développée par une ONG locale, qui permet aux victimes de harcèlement de cartographier le lieu d’une agression sexuelle dont elles ont été victimes, ou bien la mise en service de bus réservés aux femmes au Caire.
Le Caire confidentiel interdit de cinéma en Égypte
Le thriller Le Caire confidentiel ou (en anglais : The Nile Hilton Incident) réalisé par le suédo-égyptien Tarik Saleh suit l’enquête menée par un policier après le meurtre d’une chanteuse par un homme d’affaires, début 2011. Initialement prévu en Égypte, le tournage a eu lieu à Casablanca après que les autorités aient refusé les autorisations nécessaires. L’histoire s’inspire du meurtre de la chanteuse libanaise Suzanne Tamim, le 28 juillet 2008, par le magnat de l’immobilier Hicham Talaat Moustefa. Reconnu par la critique en France et à l’étranger, le film n’a pas obtenu les visas d’exploitation permettant sa diffusion dans les salles égyptiennes.
Alors que le thriller était inscrit au programme du 10e festival du film européen Panorama organisé au Caire, sa diffusion a été annulée au dernier moment en raison de « circonstances involontaires ». Le cinéma Balcon Heliopolis a aussi annoncé l’annulation de la diffusion du film, prévue vendredi 24 novembre, après que la police ait empêché les spectateurs de se rendre sur place.
Depuis l’arrivée d’Abdel Fattah al-Sissi à la tête de l’État en 2013, et dans un contexte de repli sécuritaire favorisé par la menace terroriste, aucune critique des institutions de l’État ou des symboles nationaux n’est tolérée. Récemment, la chanteuse égyptienne Sherine Abdel Wahab a été renvoyée devant la justice pour avoir dénigré le Nil. Lors d’une conversation avec un fan, à l’issue d’un concert à l’étranger, filmée et relayée sur les réseaux sociaux, la célèbre artiste aurait insinué que boire l’eau du fleuve pouvait être dangereux pour la santé. La date du procès est fixée au 23 décembre 2017. Cette affaire illustre le processus de criminalisation croissante des artistes égyptiens, qui, dans un contexte de crispation politique des autorités, sont régulièrement traduits devant les tribunaux pour atteinte à l’image du pays.
Découvertes archéologiques importantes
Le ministère des antiquités a annoncé la découverte, cet été, de trois tombeaux anciens renfermant plusieurs sarcophages dans la province de Minya, à environ 250 kilomètres au sud du Caire. Les tombeaux mis au jour se trouvaient dans un cimetière construit entre la 27e dynastie et la période gréco-romaine.
Une équipe germano-égyptienne d’archéologues a révélé avoir découvert les ruines d’un gymnase datant de l’époque grecque – environ trois siècles avant notre ère – près de la ville de Fayoum. Les ruines se situent dans le village de Philoteris (actuellement Wafta).
Un espace vide de 30 mètres de long au sein de la pyramide de Kheops a été repéré par une équipe constituée de scientifiques égyptiens, français, canadiens et japonais. Les chercheurs imaginent des modes d’investigation légers, qui n’endommageraient pas la pyramide, pour obtenir des informations sur la fonction de cet espace. Ces découvertes s’inscrivent dans le projet de relance des recherches archéologiques annoncé par les autorités égyptiennes en octobre 2015, notamment autour des pyramides de Giza et de Dahchour.
En bref :
- L’équipe nationale de football s’est qualifiée pour la Coupe du monde 2018 en Russie. Absente de la compétition depuis 1990, les Pharaons ont pris l’avantage sur l’équipe congolaise à la fin du match grâce à un penalty transformé de Mohamed Salah, désormais véritable héros national. La qualification a provoqué d’importantes célébrations dans les rues de différentes villes. L’Égypte fait partie, avec le Maroc, le Sénégal, la Tunisie et le Nigeria des cinq pays africains qualifiés. Mortada Mansour, ancien dirigeant du club en 2005, 2006 et 2014, a été réélu à la tête du club de Zamalek, grand club de la capitale, après la démission de l’équipe dirigeante suite aux résultats sportifs jugés décevants depuis le début de saison. Mahmoud El-Khatib a été élu président du club Al-Ahly, deuxième club professionnel d’Égypte.
- La présentatrice de télévision Doaa Salah a été condamnée à trois ans de prison pour « outrage à la décence publique» lors d’une émission diffusée en juillet 2017 sur la chaîne privée Al-Nahar. L’animatrice télévisée avait évoqué les différentes possibilités offertes aux femmes souhaitant avoir des enfants sans se marier. La chanteuse égyptienne Shyma a aussi été arrêtée le 18 novembre 2017, suite à la diffusion d’un clip musical dans lequel on la voit apparaître dans des positions jugées trop suggestives par les autorités. Elle est accusée d’incitation à la débauche.
- Le Forum international de la Jeunesse s’est déroulé dans la station balnéaire de Sharm Al-Cheikh, début novembre, réunissant plus de 3 200 participants de 113 pays différents (cf. Revue de presse Politique – novembre 2017). Le Forum a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des activistes et défenseurs des droits de l’Homme en Égypte. Alors que le slogan des organisateurs était « We Need To Talk » (« Nous devons discuter » en français), des voix se sont élevées pour rappeler l’absence de liberté d’expression en Égypte, les nombreux journalistes emprisonnés, et les 400 sites et médias bloqués.
- Le premier « Juste parmi les Nations » arabe est un Égyptien. Le mémorial Yad Vashem a reconnu le titre honorifique au docteur Mohamed Helmy pour avoir caché une juive allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. La famille du médecin, décédé en 1982, avait refusé de recevoir le prix décerné par l’institution israélienne en 2013, avant de se raviser. Le mémorial Yad Vashem a reconnu environ 26 500 « justes parmi les Nations » dont plusieurs dizaines sont musulmans.
- Le gouvernement d’Alexandrie a décidé de restaurer la grande synagogue de la ville, construite en 1354. La communauté juive d’Alexandrie, qui a compté jusque 25 000 membres au milieu du XXe siècle, est aujourd’hui estimée à une dizaine de membres.
- L’actrice et chanteuse égyptienne Shadia est décédée le 28 novembre. De nombreuses voix, dont celle du ministre de la Culture, se sont élevées afin de saluer la carrière de l’artiste et sa place dans l’histoire nationale. Née en 1931, Shadia – de son vrai nom, Fatma Ahmed Kamal Shaker – s’est illustrée dans de nombreux rôles au cours des années 1950 et 1960.
- La 39e édition du Festival international du film du Caire s’est tenue du 21 au 30 novembre. Fondé en 1976, ce festival annuel et diffusant des films étrangers est considéré comme l’un des plus prestigieux du monde arabe et, le seul, reconnu par la Fédération internationale des associations de producteurs de films. Le film italo-franco-suisse de Leonardo di Costanzom, « The Intruder », a remporté la Pyramide d’Or.
Pierre-Edouard Grandsire