Bourse et finance
Après plusieurs mois d’hésitations sur la politique à mener pour fixer la valeur de la livre égyptienne, tout en enrayant le marché noir, la Banque centrale égyptienne (البنك المركزي المصري) a décidé de mettre en place un taux flottant pour la monnaie nationale. Malgré une dévaluation de 13,5 % en mars, les institutions égyptiennes n’étaient pas parvenues à enrayer le recours au marché noir où une livre pouvait s’échanger jusqu’à 10 dollars de plus que sur le marché légal. L’effet de cette mesure a été immédiat et la livre s’échange déjà, le 6 novembre, pour 15,5 dollars (contre 8,8 une semaine plus tôt).
Cette décision était pressentie et faisait déjà débat. L’initiative de flotter la valeur de la monnaie, c’est-à-dire que son taux de change est défini par le marché financier, avait été prise en 2003 sous Hosni Mourabak avec des résultats mitigés. Le journal en ligne Mada Masr a publié un guide synthétisant les raisons et les enjeux de cette décision de la Banque centrale.
Suite à l’annonce d’un dépôt saoudien de 2 milliards de dollars, pour financer le prêt du Fonds monétaire international, l’indice de performance égyptien (EGX30) avait atteint, le 13 octobre, son plus haut niveau en 16 mois. Ce chiffre a été dépassé le 3 novembre, suite à la mise en place du taux flottant de la livre.
Le taux d’inflation reste très élevé: l’inflation sous-jacente (exclusion des prix volatiles, principalement les produits frais alimentaires et l’énergie) dépassait 13 % en août pour atteindre près de 14% en septembre. Le taux général est de 14,6 % en septembre, il a atteint en juillet son plus haut niveau depuis sept ans.
Réserves de devises et balance commerciale
Les réserves de devises étrangères ont augmenté en septembre avec 19,6 milliards de dollars, soit 3 milliards de plus que le mois précédent. La situation reste cependant très mauvaise, au regard des 36 milliards de réserves dont disposait le pays avant la révolution : la Banque centrale d’Égypte étudie par conséquent la possibilité de vendre une partie des stocks d’or du Trésor public.
Le déficit commercial de l’Égypte se réduit en 2016. Sur les neufs premiers mois, les importations ont décru de 7 milliards de dollars, tandis que les exportations ont augmenté d’un milliard. Le gouvernement a joué un rôle déterminant dans cette amélioration en restreignant les importations.
Prêts internationaux
le Fonds monétaire international
Confrontée à une grave pénurie de dollars et globalement à la faiblesse de ses réserves en devises étrangères, l’Égypte cherche des sources de financement à l’international. Le Fonds monétaire international a annoncé, le 11 août, qu’il accordait un prêt de 12 milliards de dollars. En échange, le Caire devra s’engager dans un programme de réformes visant principalement à réduire les dépenses publiques, avec l’arrêt des subventions au secteur de l’énergie, et à réformer l’État en profondeur. Le gouvernement s’engage aussi à sécuriser 6 milliards de dollars pour le remboursement du prêt par le biais d’accords bilatéraux.
L’Égypte a réuni environ 60% de ces financements extérieurs et espère pouvoir signer le prêt avant la fin de l’année.
Cet emprunt suscite un débat chez les intellectuels et les hommes politiques, en raison du programme de réformes et de son impact sur les couches moyennes et pauvres de la société. Des mesures importantes ont déjà été adoptées : parmi lesquelles la mise en place, historique, d’une taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que la baisse des subventions pour l’électricité.
Le FMI a prévenu que l’Égypte doit maintenir les subventions sur les denrées alimentaires de base. Il est nécessaire de protéger les catégories défavorisées et d’assurer la paix sociale pour réussir le relèvement économique du pays. L’effet de la nouvelle TVA se fait déjà sentir chez les catégories pauvres de la population dans le contexte d’inflation.
la Banque mondiale
La Banque mondiale a annoncé le prêt de 500 millions de dollars pour la création d’emplois en Haute-Égypte. Il s’effectue dans le cadre d’un programme d’aide chiffré à 8 milliards de dollars que l’institution fournira au pays, afin d’élever le niveau de vie dans les régions les moins développées.
Investissements étrangers
L’Arabie saoudite poursuit ses investissements dans le pays. La visite officielle du roi Salman, au mois d’avril, s’était conclue par la signature de nombreux accords économiques et financiers, et par l’annonce d’une zone de libre-échange entre le territoire saoudien et la péninsule du Sinaï. Début du mois d’octobre, la construction d’une « cité médicale », incluant une faculté de médecine et des hôpitaux publics, a été lancée près d’Alexandrie pour un coût de 8 milliards de dollars. L’Autorité du canal de Suez a aussi validé un contrat pour la construction d’une aciérie à Sokhna.
Le journal El Ahram a signé un contrat de 1,25 milliard de dollars avec une entreprise chinoise pour la construction d’une usine de papier, dans le gouvernorat de Beheira.
Secteurs secondaire et tertiaire
Tourisme
Le nombre de touristes accueillis en Egypte est tombé à 2,3 millions pour le premier semestre 2016, contre 4,8 millions l’année précédente, soit une baisse de 51,2%, d’après les chiffres publiés par le CAPMAS, le 26 septembre.
Les revenus générés par l’activité ont fondu de près de 50 %, passant de 7,4 milliards de dollars sur la période fiscale 2014-2016 à 3,8 milliards pour l’intervalle 2015-2016, selon la Banque centrale d’Égypte.
Le pays a connu deux accidents aériens majeurs, le 31 octobre 2015 (Vol 9268 Metrojet) et le 19 mai 2016 (vol 804 Egyptair), qui ont aggravé la chute du nombre de visiteurs dont souffrait déjà le secteur touristique. A l’instar d’autres compagnies, Egyptair a d’ailleurs annoncé, courant octobre, qu’elle bannissait de ses vols les téléphones « Samsung Galaxy note 7 » en raison de leur risque d’explosion.
Des efforts pour relever le tourisme: campagne de publicité avec les Russes et les Italiens comme cibles prioritaires
Après la campagne «This is Egypt» lancée par le ministère du tourisme en décembre 2015, l’agence de marketing JWT s’est vue confier une nouvelle campagne publicitaire en août 2016, dans le cadre d’un contrat de 66 millions de dollars avec l’État égyptien. Celle-ci ciblera en priorité douze pays européens. JWT était déjà en charge de cette mission sur la période 2009-2012.
L’Égypte envisage d’améliorer la sécurité de l’aéroport du Caire, afin de satisfaire les autorités russes et d’encourager le retour de leurs touristes, en chute libre depuis le crash d’octobre 2015. Du côté de Rome, les diplomates égyptiens s’activent pour négocier l’augmentation des vols charters depuis l’Italie vers la station balnéaire de Sharm el Sheikh.
Canal de Suez
Un début d’amélioration de l’activité ?
Après une baisse de 4,5 % des revenus entre les années fiscales 2014-2015 et 2015-2016 (respectivement 5,4 et 5,1 milliards de dollars de recettes) et des débuts difficiles au premier semestre 2016 (cf revue économie précédente), l’activité du Canal de Suez est repartie à la hausse en août (+ 18,6 millions de dollars de recettes par rapport à juillet). Le trafic maritime dans cette zone a subi la baisse des prix du pétrole et le ralentissement du commerce mondial, ainsi le doublement des voies du canal n’a-t-il pas encore eu l’effet escompté.
Le paiement des droits de péage à l’avance est à l’étude
Avec la pénurie de dollars, les autorités veulent assurer et sécuriser la rentrée de devises étrangères. C’est dans ce contexte que l’Autorité du canal de Suez négocie, avec les plus grandes compagnies maritimes mondiales, le paiement à l’avance des péages.
Importation de pétrole : l’ARAMCO suspend les livraisons
L’Égypte, depuis la fin des années 2000, importe plus de pétrole qu’elle n’en produit. Le pays a signé en avril 2016 un contrat avec l’Arabie Saoudite : d’une valeur de 23 milliards de dollars, il prévoit la livraison de 700 000 tonnes d’hydrocarbures par mois pendant cinq ans. Le royaume soutient financièrement le pays depuis l’accession au pouvoir du président Sissi, et doit assurer les revenus de ses exportations, mis à mal par la chute des cours du pétrole depuis juin 2014.
Le royaume saoudien a cependant annoncé, courant octobre, l’interruption des livraisons de pétrole prévues par le contrat. L’annonce intervient dans une période de tensions politiques entre les deux pays, depuis le vote égyptien en faveur d’un projet de résolution sur le conflit syrien présenté par la Russie au Conseil de sécurité de l’Onu.
En attendant que l’exploitation de la nouvelle réserve gazière découverte en 2015, baptisée «Zohr», ne vienne améliorer la balance des comptes dans le domaine de l’énergie, Le Caire continue de s’endetter auprès des compagnies pétrolières étrangères : la facture s’élève à 3,58 milliards de dollars en septembre 2016.
Téléphonie, vente des licences d’exploitation 4G
Avec la réforme du secteur des télécommunications, le gouvernement entend relever les finances de l’État en lui apportant des devises étrangères. Ainsi, l’autorité propriétaire des licences 4G dans le pays a annoncé que, dans le cadre de la vente de ces licences d’exploitation, elle donnerait la priorité aux opérateurs faisant cet achat en dollars. L’entreprise historique du secteur, Telecom Egypt, détenue majoritairement par l’État, était la première à signer un contrat fin août avec l’Autorité nationale de régulation des télécommunications (الجهاز القومي للتنظيم الاتصلات). Les autres opérateurs lui ont rapidement emboîté le pas : Orange Egypt tout d’abord (licences vendues à 448 millions de dollars), puis Vodafone (335 millions) et Eitisalat (535 millions).
Secteur primaire et alimentation
Subvention des denrées par le gouvernement
Les autorités s’efforcent d’assurer des réserves de denrées alimentaires cruciales (riz, sucre, blé). Il s’agit de faire face aux risques de pénuries et de conflits sociaux causés par l’inflation, le manque de dollars. Dans la région de Daqahlia, le gouverneur a ainsi lancé une campagne de distribution de denrées à prix bas, au moyen de véhicules circulants de ville en ville.
L’État étudie aussi la possibilité de plafonner les marges des entreprises pour la vente de certains produits considérés comme vitaux et prioritaires. L’application de cette mesure pourrait favoriser la création de monopoles ou bien augmenter le recours au marché noir.
Crise du sucre
L’Égypte consomme trois millions de tonnes de sucre par an, elle en produit deux millions et importe le reste. L’augmentation des prix du sucre sur le marché international (+50% en 2015), ainsi que la politique de restriction sur les allocations de dollars, menée par la Banque centrale d’Égypte, ont favorisé le recours au marché noir par les entreprises importatrices de sucre. Cela a entraîné en définitive une explosion du prix de la denrée qui s’est envolée à 9 LE le kg en octobre, contre 4,5 LE en août.
Pour faire face à la pénurie, les pouvoirs publics (via l’Autorité générale pour l’approvisionnement en produits de base) ont importé, début septembre, cinquante mille tonnes de sucre brésilien, tandis que les approvisionnements en sucre de l’entreprise Edita (un des leaders nationaux dans le domaine des biens de consommation courante) ont été confisqués deux fois, les 20 et 22 septembre, entraînant un bref arrêt de la production.
Un fait divers emblématique de la situation : un homme a été relâché le 16 octobre, contre une caution de 1000 LE. Employé en tant que serveur dans un café, il avait été arrêté quelques jours plus tôt, dans le quartier d’Heliopolis, en possession de 10kg de sucre.
Commerce du blé
Premier pays importateur mondial de blé, l’Egypte se fournit, entre autres, auprès de la Russie. Après avoir rejeté une cargaison de blé russe à la frontière, en raison de la présence du champignon «ergot», les Égyptiens ont subi en retour le ban de leurs exportations à destination de Moscou. Le commerce de denrées entre les deux pays a finalement été rétabli après un mois de tensions, l’Égypte n’ayant pas pu se tourner vers un autre exportateur.
Le gouvernement attache une importance particulière à la qualité du blé importé : il a engagé, fin septembre, un entreprise suisse pour contrôler les livraisons et envisage de mettre fin au recours à des silos de stockage en plein air.
CRÉSUT Pierre