PATRIMOINE
Mogamma, la mort d’un monstre ?
Le 1er mai, le gouvernorat du Caire a annoncé l’évacuation du célèbre monument administratif égyptien, le Mogamma. Situé au sud de la place Tahrir au cœur du Caire, le colosse de quatorze étages et 28 000 mètres carré de surface, sera vidé à partir du 30 juin. Les différents services administratifs seront redistribués dans les différents ministères dont ils dépendent. Selon le gouverneur du Caire, Mohamed Ayman, cette décision vise à désengorger le centre-ville du Caire du trafic automobile. Étant donné la proximité d’un certain nombre de ministères avec le Mogamma, on voit mal comment une telle décision pourrait effectivement aider à fluidifier le trafic.
Achevé en 1951, le Mogamma s’impose depuis sans partage dans le paysage urbain du Caire. Mohamed Ayman a laissé entendre qu’un complexe hôtelier pourrait s’installer dans ce dédale de salles et de couloirs qui abrite aujourd’hui la vie administrative des Egyptiens.
Townhouse, un genou à terre
Le 6 avril dernier, la galerie d’art contemporain Townhouse, située dans la rue Nabrawy du centre-ville du Caire, s’est partiellement effondrée. Installée dans un ancien immeuble de logement datant des années 1890, la partie du bâtiment concernée comprenait la bibliothèque, fraichement rénovée, la nouvelle extension de la galerie au premier étage ainsi que des bureaux. Townhouse demeure la plus ancienne galerie d’art contemporain (à but non lucratif) du Caire. Elle a été créée en 1998 et a servi de catalyseur à la scène d’art contemporain non affiliée à l’Etat en Égypte.
Suite à l’accident, la municipalité a pris la décision de démolir l’intégralité de l’immeuble pour des raisons de sécurités. Ce choix a été très critiqué par les défenseurs de Townhouse et par les autres occupants de l’immeuble. Malgré les revendications des membres de la galerie et d’un avocat auprès du gouverneur du Caire, la destruction a été maintenue pour le dimanche 10 avril.
L’évacuation des lieux par tous les occupants de l’immeuble s’est déroulée dans une atmosphère tendue, sous surveillance policière, mais sans heurts. Les occupants ont notamment fait part de leur colère vis-à-vis de la compagnie Al-Ismaelia for Real Estate Development, à qui pourrait profiter la démolition, selon Alexandra Stock, une ancienne curatrice de la galerie.
Quatre jours après l’incident, le matin même de la démolition, le gouverneur du Caire a annoncé son report, suite à une intervention du directeur du NOUH, National Organization of Urban Harmony – institution étatique visant à préserver le patrimoine architectural). Selon Omar Nagati, architecte et co-fondateur de Cluster, la municipalité est légalement obligée de faire évacuer le bâtiment pour des raisons de sécurité évidentes. Cependant, cette décision de démolir l’immeuble intervient alors que plusieurs demandes de restauration liées à des problèmes de structures avaient été faites, ce qui a entraîné la colère des habitants : “The building’s partial collapse then created a sense of urgency and speed up the process of issuing a demolition order” (Omar Nagati).
Downtown Contemporary Art Festival (D-CAF)
Le festival d’art contemporain de Downtown a tenu sa 5ème édition du 31 mars au 22 avril dernier. Créé par le dramaturge Ahmed El Attar et sa compagnie Orient Productions, D-CAF se déroule dans le centre-ville du Caire et s’introduit dans tous ses recoins : ses passages, ses rues, ses espaces culturels, ses lieux abandonnés, ses immeubles khédivaux.
Le festival a vu le jour, notamment grâce au soutien d’Al-Ismaelia for Real Estate Investment. L’implication de la compagnie immobilière, qui focalise son action uniquement sur le Caire khédival, est régulièrement dénoncée. En effet, certains accusent Al-Ismaelia de mener une entreprise de gentrification à Downtown et d’utiliser le festival à cette fin. En dépit, de ces critiques, D-CAF est parvenu à se forger une réputation dans le milieu des festivals régionaux, notamment grâce à sa pluridisciplinarité. Le festival attire aujourd’hui plusieurs milliers de personnes.
PLANIFICATION
Le Phare d’Alexandrie
Le 18 avril, le gouvernorat d’Alexandrie a annoncé son projet de construire le plus haut bâtiment du monde, devant le Burj Khalifa du Dubaï qui culmine à 830m de haut. Après une nouvelle capitale, un deuxième canal de Suez et un pont entre l’Arabie Saoudite et l’Égypte, le pays poursuit sur sa lancée de projets pharaoniques.
Selon le gouverneur d’Alexandrie, Mohamed Abd El Zaher, le design du bâtiment sera proche de celui du Phare d’Alexandrie, une des sept merveilles du monde anéantit en 1303. La structure, qui devrait accueillir un hôtel et des commerces, doit permettre de magnifier la ville, anciennement surnommé “Perle de la Méditerranée”, et de promouvoir l’héritage historique de la ville et le tourisme. Le gouvernorat est actuellement en train d’étudier la faisabilité du projet et envisage de faire appel à des investisseurs privés pour sa réalisation. Le projet fait partie d’une plus vaste entreprise de rénovation et de développement du centre-ville d’Alexandrie.
L’année dernière, le gouvernorat avait déjà annoncé la reconstruction du phare à l’endroit même de son ancienne localisation, sans que le projet n’ait abouti. S’il reste incertain que ce nouveau phare voit le jour, il l’est encore moins qu’il devienne le plus haut bâtiment du monde sachant que l’Arabie Saoudite est sur le point de lancer la construction titanesque d’une tour de mille mètres de haut à Jeddah.
Nouvelle Capitale
Le ministre du Logement Moustafa Madbouly a annoncé le 26 mars dernier le lancement officiel de la première phase de la construction de la nouvelle capitale égyptienne (voir la Revue de presse du CEDEJ sur la ville de mars 2016). Cette première phase doit permettre la construction des infrastructures (réseau routier, d’électricité et d’eau) de la ville et devrait durer deux ans selon le président Abdel Fattah el Sisi.
ESPACE PUBLIC
Street art à Manshyiat Nasr
Le mois dernier, le street artiste franco-tunisien El Seed a achevé “Perception”, une œuvre monumentale créée dans le quartier de Manshyiat Nasr au Caire. Coincé entre la Cité des Mort et le Mokattam (“la montagne coupée”), le quartier est connu pour abriter les Zabbalines, ces chiffonniers qui collectent, trient et recyclent les déchets du Caire. Désormais, il accueille une des plus grandes œuvres de street art du monde. S’étendant sur une cinquantaine d’immeubles, une citation de St Athanasius, le Patriarche d’Alexandrie au IIIème siècle, a été calligraphiée : “Celui qui veut regarder la lumière du soleil doit d’abord s’essuyer les yeux”. Une invitation sévère pour tous les visiteurs qui se lanceront dans l’ascension de la colline, car pour pouvoir jouir de la sagesse du patriarche et la beauté du message, il faudra oser se perdre dans ce quartier jusqu’à atteindre son sommet, unique point de vue pour admirer l’œuvre dans son intégralité.
Espace public verrouillé
En prévision de l’appel à manifester le 25 avril, l’espace public du Caire et d’autres grandes villes d’Égypte était verrouillé. Le jour même de la célébration du Sinaï, alors que les avions de l’armée effectuaient un ballet au-dessus de la capitale, les forces de sécurité et l’armée se déployaient dans les villes du pays : Le Caire, Alexandrie, Port Saïd, Minya, Fayoum, Suez, Assiut. La station de métro Sadat, qui débouche sur la place Tahrir, était une nouvelle fois fermée. Rien n’a été laissé au hasard. Les manifestations n’ont cependant pas été empêchées lorsqu’elles exprimaient un soutien au président Abdel Fattah el Sisi.
Semi-marathon, quatrième édition
Le 15 avril, les rues habituellement vides du vendredi matin se sont vues investir par sept mille coureurs. La quatrième édition de la course, lancée à Maadi, se divisait en trois parcours de un, sept, ou vingt-et-un kilomètres. En passant de soixante-dix participants la première année à sept mille en 2016, les organisateurs peuvent se vanter d’avoir sensibilisé une partie de la population à la course à pied. Ils espèrent d’ailleurs pouvoir dans les prochaines éditions proposer un parcours de quarante-deux kilomètres, la distance du marathon. On peut cependant s’interroger sur les bienfaits d’un tel exercice physique dans une ville aussi polluée, sur la population concernée par cet événement et l’existence de moyens mis en œuvre pour le rendre accessible à un plus large public.
TRANSPORTS
Après Le Caire, c’est à Alexandrie que se poursuit le conflit entre chauffeurs de taxi et chauffeurs privés utilisant les applications Careem et Uber. Au début du mois d’avril, les chauffeurs de taxi alexandrins ont organisé une grève pour protester contre les deux compagnies étrangères installées dans la ville depuis respectivement novembre 2015 et décembre 2015.
Entreprise depuis le début de l’année au Caire, la résistance des taxis égyptiens a mené à un projet de législation stipulant que les propriétaires privés de véhicules travaillant avec les deux compagnies auront à payer la même assurance et les mêmes taxes que celles imposées aux taxis. Cependant, il n’est pas précisé si le montant de ces taxes sera identique à celui payé par les chauffeurs de taxi.
M. P.