Politique intérieure
Institutions politiques
Un remaniement ministériel a été effectué le 23 mars dernier par le Premier Ministre Sherif Ismail, sous la supervision du président de la république Abdel Fatah El-Sissi. Ce sont dix nouveaux ministres qui ont pris place au sein du gouvernement. Les ministres de l’Intérieur et de la Santé, que certains soupçonnaient d’être déchus de leur position au vu des événements récents, restent à leur poste, tout comme les ministres de la Défense et des Affaires Etrangères.
Le nouveau gouvernement a présenté son programme « Oui, nous pouvons » et son budget, qui seront soumis cette semaine aux instances exécutives et législatives. Ils devront être approuvés par le Parlement, faute de quoi le gouvernement sera dissout. Le programme propose plusieurs mesures pour relancer l’économie, notamment des coupes budgétaires, la révision des subventions de l’Etat ainsi que la mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée, condition nécessaire pour contracter des prêts auprès du FMI et de la Banque Mondiale.
Ce remaniement intervient peu de temps après la démission du ministre de la Justice, Ahmed al-Zind, objet d’une polémique suite à ses commentaires vis-à-vis du Prophète Mahomet.
Corruption
Hesham Geneina, chef de l’autorité d’audition centrale (CAA) chargé d’enquêter sur la corruption au sein de l’Etat, a été renvoyé par le président Al-Sissi, le 28 mars. Le président a mis en doute la véracité des rapports soumis par Geneina, qui avait révélé la corruption de l’Etat égyptien, dans un rapport publié en décembre dernier. Il estimait les pertes à 600 milliards de livres égyptiennes en 2015. Le comité présidentiel chargé d’enquêter sur ces faits avait conclu que Geneina avait manipulé les informations afin d’exagérer la corruption. Le chef de la CAA s’était déjà attiré la disgrâce d’Ahmed el-Zind (ancien ministre de la Justice), lorsqu’il avait affirmé que sa nomination était un stratagème permettant aux services de sécurité d’infiltrer le pouvoir judiciaire.
Reuters a également publié un rapport sur la corruption frappant le marché du blé égyptien, en partie liée aux « cartes intelligentes » utilisées pour la distribution de farine de blé aux boulangers et aux échecs du pouvoir face à ce phénomène.
Economie
L’Egypte a signé un contrat de 1,5 milliards de dollars avec l’Arabie Saoudite pour un projet de développement dans le Sinaï. Alors que la région est victime du terrorisme, ces projets d’investissement symbolisent la proximité égypto-saoudienne depuis la chute de Morsi.
Giulio Regeni
L’Italie a décidé de poursuivre l’enquête sur la mort de l’étudiant Giulio Regeni, malgré les conclusions annoncées par les autorités égyptiennes. Ces dernières ont laissé entendre que le jeune homme avait été capturé et tué par un gang spécialisé dans l’enlèvement d’étrangers et déguisé en policiers. La bande de malfaiteurs a été éliminée lors d’opérations de police la semaine dernière. La police avait également annoncé avoir retrouvé certains de ses effets personnels, notamment son passeport et sa carte étudiante, au domicile de la sœur d’un des criminels. Le ministre de l’Intérieur Al-Ghaffar s’est plaint de « l’hostilité médiatique » autour de l’affaire qui met en doute les théories du ministère. Les enquêteurs italiens ont, quant à eux, annoncé que l’affaire était « loin d’être close », remettant en cause la thèse criminelle, incohérente avec la situation. Le corps de Giulio Regeni portait en effet des traces d’une semaine de torture.
Société civile
La justice égyptienne a rouvert le célèbre « dossier 173 » sur le financement international des ONG. Ce dernier, qui avait permis la condamnation de 43 organisations allemandes et américaines en 2013, vise aujourd’hui au moins 190 individus et organisations, égyptiennes comme internationales, recevant des fonds étrangers. Certains centres proéminents comme l’Egyptian Initiative for Personal Rights, le centre Nazra pour les études féministes, ou encore le centre Nadeem pour la réhabilitation des victimes de violence et de torture sont concernés. Alors que la communauté internationale a fortement critiqué cette « montée de la répression », le ministre des Affaires Etrangères Sameh Shoukry a justifié la mesure en se disant soucieux que ces fonds reviennent aux bonnes personnes et ne profitent pas à ceux dont « les pratiques pourraient menacer le pays ». La cour qui était censée statuer sur l’affaire le 24 mars a reporté le procès au 20 avril prochain. Le juge en charge de la commission d’enquête a dans le même temps ordonné une « obligation de silence » pour les médias égyptiens le 22 mars.
Dans cette même affaire, quatre militants des droits de l’Homme (dont Hossam Bahgat, fondateur de l’EIPR et Gamal Eid, directeur exécutif du Réseau Arabe pour l’Information sur les Droits de l’Homme) ont vu leurs comptes gelés et ont été interdits de sortir du territoire, avant même d’être interrogés.
En parallèle, les procès d’Aya Hegazy et Mohamed Hassanein ainsi que six membres du personnel de l’ONG « Belady » ont eux aussi été ajournés. Les accusés ont déjà passé plus de deux ans en détention, sans qu’aucun témoin n’ait été pour le moment entendu. Le couple et son ONG sont accusés, entre autres, d’avoir incité des enfants à rejoindre les manifestations pro-Frères Musulmans et d’avoir agressé sexuellement des mineurs.
Enfin, la libération sous caution du “garçon au T-Shirt”, Mahmoud Mohamed Hussein, qui devait avoir lieu en fin de semaine dernière après un an de détention sans procès, a finalement été suspendue.
Syndicats & manifestations
Le 18 mars, le syndicat des journalistes a repoussé sa réunion annuelle pour la seconde fois, en raison de la faible participation de ses membres. Selon Khaled al-Balshy, un membre du bureau du syndicat, un quorum minimal de 2,200 personnes est nécessaire, or seuls 240 membres se sont présentés, signe selon lui des difficultés auxquelles font face les journalistes égyptiens à l’heure actuelle.
Des grèves ont eu lieu à travers le pays. Les travailleurs réclament au Ministère des biens religieux la révision de leur salaire et de meilleures conditions de travail. Ils avaient débuté leur grève suite à la mise en place des nouveaux salaires minimums, pour lesquels seuls 18% des travailleurs égyptiens seraient éligibles. En réponse à cette mobilisation, le ministre Mohamed Mokhtar Gomaa a menacé les grévistes de licenciement et douze employés font face à des poursuites judiciaires.
Police
Alors que la police égyptienne a été impliquée dans des scandales et bavures à répétition ces derniers mois, le ministre de l’Intérieur a fait voter une nouvelle loi sur la Police, approuvée le 10 mars dernier. Une partie de la loi répond aux demandes de la société civile sur le respect des droits de l’homme et de la dignité des citoyens et la responsabilité des policiers quant à l’usage de la violence. Néanmoins, certains amendements ont fait polémique en interdisant l’affiliation politique, religieuse et l’activité syndicale des policiers.
Opérations militaires et terrorisme
Le gouvernement égyptien a déclaré intensifier ses opérations de contre-terrorisme dans le Sinaï. Le ministre de l’Intérieur a, quant à lui, annoncé un approfondissement de la coopération au sein des services de sécurité et la révision du budget de ces opérations, des raids ont eu lieu à Arish, Sheikh Zuwayd et Rafah, tuant 10 militants et permettant l’arrestation de 4 autres.
Politique extérieure
Sécurité
À partir du 6 mars, la France et l’Egypte ont effectué des manœuvres militaires au large d’Alexandrie. Le porte-avion Charles de Gaulle ainsi que la frégate Tahia Misr, construite en France, ont participé à ces opérations, qui s’intègrent à l’exercice militaire Ramses-2016. Il a lieu alors que certains pays européens évoquent la possibilité d’une intervention militaire en Libye, intervention rejetée par l’Egypte (voir revue de presse février 2016). L’Egypte accroit ses exercices militaires depuis plusieurs mois déjà notamment avec ses voisins arabes, l’Arabie Saoudite en tête. C’est à l’occasion de la clôture de ces exercices conjoints avec l’armée du royaume que le président égyptien s’est rendu en Arabie Saoudite le 10 mars dernier.
Le 7 mars, le président irakien Fouad Masoum a effectué sa première visite officielle en Egypte. Ce séjour de trois jours a permis aux chefs d’Etats d’approfondir la coopération entre les deux pays en matière de sécurité au regard des troubles dans la région. Le président égyptien a déclaré son soutien le plus entier à l’Irak concernant sa souveraineté et sa sécurité.
Tournée asiatique du président El-Sissi
Début mars le président Abdel Fattah Al-Sissi a entamé une tournée asiatique en visitant le Kazakhstan, la Corée du Sud et le Japon. Les discussions ont principalement tourné autour des questions économiques et des questions sécuritaires. La visite au Japon a d’ailleurs été qualifiée d’historique puisque c’était la première fois qu’un président arabe adressait un discours au Parlement japonais.
Ligue Arabe
Le nouveau Secrétaire Général de la Ligue Arabe a été désigné le 10 mars dernier. L’actuel secrétaire, Nabil el-Araby, dont le mandat s’achève le 1er juillet a en effet annoncé au début du mois de mars qu’il ne briguerait pas un second mandat. Suite à des tractations, c’est finalement le candidat égyptien Ahmed Aboul-Gheit qui a été nommé pour devenir son successeur. Dernier ministre des affaires étrangères pendant la présidence de Hosni Moubarak, Ahmed Aboul-Gheit avait été plutôt discret après la révolution, jusqu’à ce que l’ancien président Mohamed Morsi soit destitué. Cette nomination a été très largement saluée par la majorité des pays arabesainsi que par l’Union Européenne.
Droits de l’homme
Le Parlement européen a voté le 10 mars dernier une résolution non-contraignante recommandant la suspension de l’aide militaire européenne à l’Egypte en raison de la violation des droits de l’homme. Le parlement fait notamment référence à la mort de l’étudiant italien Giulio Regeni. Votée par 588 députés, cette résolution indique que la mort de l’italien n’est pas un accident isolé mais que celle-ci intervient dans un contexte tendu où la torture, le décès lors d’une arrestation et les disparitions forcées sont des phénomènes récurrents en Egypte ces dernières années. Elle plaide également pour la suspension de la coopération militaire entre les Etats membres de l’UE et l’Egypte lorsqu’il y a preuve que du matériel militaire fourni par ces derniers est utilisé pour la violation des droits humains. Le ministère des affaires étrangères a déclaré que cette résolution était « injuste » et qu’elle ne reflétait pas la situation actuelle de l’Egypte. A son tour, l’ambassadeur européen au Caire, James Moran, a répliqué que ces discussions au Parlement européen étaient tout à fait normales puisque la mort de l’étudiant italien a suscité de nombreuses inquiétudes et interrogations.
Dernièrement, John Kerry a réagi à la situation des droits de l’homme dans le pays évoquant notamment la réouverture des procès contre plusieurs ONG dont l’activité concernait justement le respect des droits humains. Amnesty International a également dénoncé cette attitude hostile et parle d’un recul du respect des droits de l’homme en Egypte. Le Ministre des affaires étrangères égyptien, Sameh Shoukri, a répondu à ces critiques en déclarant que le respect des droits humains était une priorité en Egypte et que le pays n’acceptait pas d’interventions étrangères sur le sujet. En guise de réponse, certains membres du Parlement égyptien ont même évoquéune possible interdiction des financements venus de l’étranger pour les ONG en Egypte.
M. D-G. et M. H.