Fin de l’état d’urgence
Fin octobre, le Président al-Sissi a annoncé que l’État d’urgence ne serait pas reconduit, assurant que l’Égypte était devenue un « oasis de sécurité et de stabilité dans la région ». Depuis qu’il a été déclaré à travers tout le pays en avril 2017 après un double attentat contre des églises coptes à Tanta et Alexandrie, l’État d’urgence avait été renouvelé en continu tous les trois mois. Cette mesure peut être lue comme un mouvement vers les États-Unis, qui ont conditionné 130 millions de dollars d’aide militaire à une améliorations des droits de l’homme en Égypte. Cependant, des mesures spéciales seront toujours mises en œuvre dans plusieurs zones du Sinaï, où l’État d’urgence est déployé depuis octobre 2014.
Dans le cadre de l’état d’urgence, les services de sécurité se sont vu accorder des pouvoirs étendus. La loi sur l’état d’urgence de 1958 accorde aux forces de sécurité des pouvoirs très étendus, notamment pour détenir des suspects et des dissidents, surveiller les communications privées, interdire les rassemblements et évacuer des zones, saisir des biens.
La fin de l’état d’urgence devrait mettre fin à la compétence du bureau du Procureur Suprême de la sureté d’État pour examiner les cas de crimes qui violent les dispositions de la loi d’urgence, et transférer cette compétence aux procureurs ordinaires. Toutefois, cela n’affecte pas les compétences et les pouvoirs du parquet suprême de la sécurité de l’État qui lui sont accordés par d’autres lois et décisions, notamment la loi antiterroriste de 2015. Cette dernière garantie en effet aux procureurs un large pouvoir pour détenir des suspects sans contrôle judiciaire et ordonner une surveillance étendue et potentiellement indéfinie des suspects de terrorisme sans décision de justice. Néanmoins, Les nouvelles infractions qui auraient été précédemment poursuivies par les tribunaux de sureté de l’état d’urgence ne seront plus portées devant les tribunaux spéciaux, dont les sentences ne peuvent pas faire objet d’appel. Ces derniers vont cependant continuer de traiter les affaires dont ils ont déjà été saisis avant la fin de l’État d’urgence et à rendre des décisions à leur sujet, notamment les procès en cours de nombreux prisonniers politiques tels que Patrick Zaki, Alaa Abd El Fattah, Ramy Shaath.
Plusieurs autres mesures prévues par l’État d’urgence, comme les restrictions sur la liberté de rassemblement ou de manifestation, la censure des journaux, publications et médias, les évacuations forcées ou les couvres feu dans certaines zones vont rester en vigueur, en partie grâce à l’arsenal de lois anti-terroristes votées en 2015, précédé de la loi sur les manifestation adoptée en 2013 et approuvée en 2015 et suivit des amendements constitutionnels en 2019 qui ont modifié les modalités de nomination des juges des plus hautes instances du pays. Cet appareil législatif a été renforcé le 1er novembre par une série d’amendements voté par le Parlement qui donnent aux tribunaux militaires une compétence permanente pour juger les civils, notamment ceux enfreindraient l’interdiction de manifester. De même, les recherches qui sont menées sur l’armée sans un accord préalable du Ministère de la Défense seront passibles de 6 mois à 5 ans de prison et d’amendes s’élevant à entre 100 000 EGP et 1 million d’EGP.
Procès et nouvelle prison
Alaa Abdel Fattah, visage de la révolution en 2011, est emprisonné depuis deux ans. Avant cette dernière incarcération, cet activiste de 39 ans avait déjà passé plus de cinq années derrière les barreaux. Cette fois-ci, il est accusé de diffuser des fausses informations pour un tweet au sujet d’un prisonnier mort torturé en détention. Le procès du militant s’est ouvert le 18 octobre devant un tribunal correctionnel d’urgence de la Sûreté d’État. Il a comparu aux côtés de l’avocat Mohamed el Baqer et du blogueur Mohamed Oxygen. Le verdict devrait être prononcé le 20 décembre prochain. Selon l’un de ses avocats, Alaa Abdel Fattah encourt jusqu’à huit ans de prison. Nombre d’organisations de défense des droits humains continuent de dénoncer ce procès ainsi que ses conditions de détention.
Fin octobre, le Ministère de l’Intérieur a mis en ligne un vidéo-clip dévoilant un nouveau complexe carcéral, le « Centre correctionnel et de réhabilitation de Wadi al-Natrun ». Les détenus de 12 prisons devraient être transférés dans ce nouveau complexe, notamment ceux de la prison de Tora au Caire, et des prisons d’Alexandrie, de Tanta, de Mansoura, de Beheira, de Damanhour et de Minia, entre autres. La publicisation de cette nouvelle prison survient après de nombreuses critiques quant aux conditions d’emprisonnement des détenus et alors que les autorités s’efforcent de montrer un nouveau visage sur la question des droits de l’homme.
Du remous dans les écoles
Le ministère de l’éducation a annoncé l’interdiction de filmer dans les écoles, après que des photos et vidéos de classes en sureffectifs aient fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Imputant la situation au non-paiement des frais de scolarité par les parents, le Ministre de l’éducation Tarek Shawki a tenté de conditionner la livraison des manuels scolaires au payement de 50% des frais de scolarités (entre 300 et 500 EGP par an dans les écoles publiques). Le ministre a fait partiellement marche arrière, notamment suite aux réactions de plusieurs députés condamnant la décision, en annonçant la réduction de moitié des frais de scolarité minimums.
Le nombre d’enseignants auraient chuté lors de la dernière année fiscale, autant dans les écoles publiques que dans celles gérées par Al Azhar, d’après des données publiées par l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS). Tandis que la population des écoliers augmente, les enseignants qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, les nouveaux contrats permanents étant gelés depuis 17 ans, remplacés par différents types de contrats temporaires. Ces mesures d’embauches temporaires auraient même été suspendues l’année dernière. 36 000 enseignants avaient alors été recrutés par le biais d’un système de “concours”, mais le ministère de l’éducation a finalement mis fin à tous les contrats après un seul semestre. Les écoles publiques manqueraient d’environ 259 000 enseignants d’après des données datant de fin 2020. Une nouvelle tentative est mise en place cette année : les enseignants travailleront sur une base volontaire pour un tarif de 20 EGP par classe, avec un nombre maximum de 24 classes par semaine pendant 11 mois maximum. Tous les organes du secteur public ont pour l’instant l’interdiction d’embaucher du personnel, afin de rationaliser les dépenses publiques fortement affectées par l’épidémie de Coronavirus.
Les goûts et les couleurs…
La scène artistique et culturelle a été de nouveau le terrain de polémiques en octobre. C’est notamment Feathers, film de Omar el Zohairy, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse égyptienne. Premier long métrage égyptien à remporter le prix de la semaine de la Critique et le prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique à Cannes, ce n’est pourtant pas ce qui a retenu l’attention des médias. Pour ses détracteurs, le film livre une image négative et déformée de l’Égypte. En cause, son scénario, à la fois social et absurde, qui dessine le quotidien d’une famille pauvre, dirigée par une femme dont le mari a été changé… en poulet.
Pour ce qui est de laisser des plumes… C’est une référence religieuse détournée qui a agité la scène musicale. À l’occasion d’un concert géant devant plus de 25 000 fans marquant le retour du rappeur Marwan Pablo, le 1er octobre, l’humour du rappeur palestinien, Shab Jdeed, aussi présent sur scène, n’a pas été du goût de tous. L’artiste originaire de Jérusalem s’est amusé à modifier un chant musulman. L’agacement de certains spectateurs exprimés sur les réseaux sociaux s’est rapidement transformé en polémique. Il n’en fallait pas plus pour que le syndicat des musiciens interdise à Marwan Pablo de se produire en public.
Mais rappelons-nous que l’art est une question de perception et qu’une œuvre peut parfois demeurer incomprise, à l’instar de celle d’Aidan Meller. Ce plasticien britannique a créé un robot artiste au visage de femme ultra réaliste. Prénommée Ai-Da, cette créature a été retenue dix jours aux douanes, relâchée à la dernière minute pour participer à l’exposition Forever is Now sur le plateau de Guizeh, organisée par Art d’Égypte. En raison de caméras disposées dans les yeux de la poupée-œuvre d’art, les autorités de l’aéroport l’ont soupçonnée d’espionnage.