Urbanisme, des villes en mutation
La lutte contre l’urbanisation non réglementaire
Depuis plusieurs mois, en vertu de la loi 119/2008 sur la construction, le gouvernement égyptien mène une lutte intensive contre l’urbanisation informelle. Le président Abdel Fattah al-Sissi a demandé à ce que tous les édifices construits en violation de la loi soient détruits. Il a précisé à plusieurs reprises, lors de l’inauguration des projets Bashayer Al-Khair 3, Asmarat 3 et d’autres projets nationaux à Alexandrie fin août, qu’il s’agissait d’un enjeu de sécurité nationale. Le Premier ministre, Mustafa Madbouly, a annoncé en avril dernier que les propriétaires tomberaient sous le coup de la loi militaire dans le cadre de l’État d’urgence. En avril 2019, la Loi de conciliation 17/2019 a été promulguée. Elle permet de légaliser certaines de ces constructions moyennant une amende s’élevant de 50 à 2 000 livres par m² en fonction des villes et des quartiers. Des différences existent également entre villes, villages et villes nouvelles. Au 20 juillet, 517 000 demandes avaient été déposées. Cette conciliation n’est possible que pour les bâtiments ne présentant aucun défaut structurel (c’est au propriétaire d’en apporter la preuve par un rapport d’ingénieur coûtant jusqu’à 4 000 livres). Néanmoins, la loi est peu claire sur la personne qui doit payer l’amende : le propriétaire d’origine ou le propriétaire actuel du bâtiment, celui de l’appartement ou bien le locataire ? La demande de conciliation ne peut être faite que pour l’intégralité d’un bâtiment, ce qui nécessite l’accord de tous les propriétaires. Elle est autorisée pour les constructions antérieures au 8 avril 2019 (date de promulgation de la loi 17/2019) et peut être déposée jusqu’au 30 septembre. Passé cette date, les bâtiments pour lesquels aucune demande de conciliation n’aura été déposée seront immédiatement détruits. Alors que des avocats ont déposé des réclamations devant le Conseil d’État pour anti-constitutionnalité (cette loi est jugée rétroactive, le Parlement, lui, argue que les violations et leurs effets négatifs sont toujours en cours), nombre d’individus regrettent un timing « mal choisi » avec la pandémie qui a accru les difficultés économiques des Égyptiens et a empêché les propriétaires expatriés de rentrer au pays régler leurs affaires.
À l’occasion du lancement du projet « Asmarat 3 » à l’est du Caire, inauguré par le Président Abdel Fattah al-Sissi, de nombreux articles reviennent sur la lutte du gouvernement contre la pauvreté et les ashwayyat et sur sa volonté de promouvoir la modernité au sein du pays. Les forces armées ont publié un film sur Facebook pour promouvoir l’action de l’État. Le ministère du Logement a annoncé qu’environ 250 000 logements alternatifs pour un coût de 61 milliards de livres avaient été construits pour résorber l’habitat informel. Des programmes similaires sont en cours à Gizeh et au Caire où 92 % des bâtiments du quartier des tanneries (Magrat el-Uyun le long de l’aqueduc médiéval) ont été détruits et 780 familles relogées à Badr City. À Hurghada, de nouveaux logements ont été livrés pour les habitants des quartiers informels des zones de Rawda et de Gebel el-Afash. Les autorités municipales ont fourni des véhicules pour le transport des affaires des anciens vers les nouveaux lieux d’habitation avant que les installations d’habitat informel ne soient détruites.
Les grands projets urbains
Sur le modèle de la place Tahrir au Caire, le Premier ministre propose de rénover d’autres places dans le centre-ville (Talaat Harb, Mustafa Kamel, place de l’Opéra, Ataba, parc de l’Azbekeyya). Il souhaite également que des voies piétonnes et des pistes cyclables soient aménagées pour faciliter la visite de la capitale.
Concernant la Nouvelle Capitale, un million d’ouvriers travaillent chaque jour à l’édification des bâtiments. Le ministre du Logement étudie quels types de commerces pourront s’installer dans le centre d’affaires (CBD) : des établissements à destination d’une clientèle locale et internationale. À terme, ce quartier comptera une vingtaine de tours pour un budget de 3 milliards de dollars, dont une de 400 mètres qui sera la plus haute d’Afrique.
Le Premier ministre suit l’avancement des travaux à New Alamein. Le gouvernement désire faire de cette ville une nouvelle vitrine du pays et un pôle du tourisme balnéaire local et international. La première phase des travaux devrait s’achever en décembre 2020.
Destruction des cimetières
Fin juillet, la destruction d’une partie de la Cité des morts Nord au Caire, dans le désert des Mamelouks, a fait scandale dans la presse et sur les réseaux sociaux. Des dizaines de tombes ont été détruites pour permettre la construction d’un pont qui doit relier la rue Salah Salem à la place al-Firdous. Si le gouvernement souligne que les tombes concernées sont privées et contemporaines, des défenseurs du patrimoine affirment que certaines d’entre elles remontent à l’ère mamelouke et se trouvent dans une zone classée à l’UNESCO. Le secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités a demandé la formation d’un comité scientifique et technique pour étudier la question.
Transports : développement du métro et hausse des prix
Les travaux sur la 3ème ligne de métro avancent avec la phase 4 jusqu’à la station Adly Mansour. Cette dernière constituera un hub entre le métro, la ligne ferroviaire Le Caire-Suez, le train électrique vers la Nouvelle Capitale et le bus vers l’aéroport. Ces investissements nécessitent des fonds. Qui plus est, les frais de fonctionnement du métro s’élèvent à 8 milliards de livres tandis que ses revenus n’en couvrent que la moitié. C’est la raison mise en avant par le gouvernement pour justifier la nouvelle hausse des prix des tickets de métro sur la 1ère et la 2ème ligne à partir du mois d’août. Le ticket à 3 livres passe à 5, celui à 5 livres passe à 7 et celui à 10 livres passe à 16. Ces tickets pourront être achetés sur des machines sans avoir à passer au guichet pour les lignes 2 et 3. Les prix des tickets de train ont également augmenté de 25 à 80 % fin juillet afin de couvrir les frais d’entretien et d’exploitation du réseau ferré.
L’Égypte est le premier pays au monde à accueillir des lignes de bus Uber qui relient différentes villes entre elles.
Développer encore davantage l’économie touristique
Réouvertures et nouveaux projets au Caire
Au Caire, après 3 ans de travaux ayant coûtés plus de 175 millions de livres (10 millions de dollars), le palais du Baron Empain rouvre au public et accueille un musée de la vie quotidienne à Héliopolis. Un article d’Al-Monitor réinscrit cette rénovation dans l’intérêt croissant des autorités égyptiennes pour le patrimoine architectural de ce quartier. La nouvelle muséographie est adaptée au jeune public. Face à l’affluence de visiteurs, les horaires d’ouverture ont été étendus de 9 h à 18 h, ce qui est assez rare en Égypte où les sites touristiques ferment généralement à 16 heures.
Après cinq mois de fermeture, le zoo de Gizeh rouvre ses portes le 24 août.
Sur le modèle de grandes métropoles touristiques mondiales, un projet de grande roue, le « Cairo Eye », est à l’étude. Elle devrait prendre place dans une zone dédiée aux loisirs et au tourisme au cœur de la capitale et pourra accueillir 32 000 visiteurs par jour. Les autorités cherchent à attirer toujours plus de touristes au Caire, notamment en développant le plateau de Gizeh sur lequel un restaurant vient d’être implanté. Une nouvelle entrée dans le désert sera aussi aménagée à proximité du nouvel aéroport Sphinx International. Elle comprendra un espace d’information touristique et des boutiques. Des véhicules électriques permettront aux touristes de faire le tour du plateau.
Les ministres du Tourisme et de l’Aviation ont visité le futur musée de l’Aéroport du Caire. Situé dans le terminal 2, il permettra de tirer parti des voyageurs en escale, notamment à destination du sud du pays. Le musée abritera des objets d’art pharaoniques, coptes et islamiques.
Reprise du tourisme en Haute-Égypte
Après la Mer Rouge, le tourisme reprend progressivement dans les villes de Haute-Égypte début juillet. Afin d’attirer les touristes étrangers, les prix ont été divisés par deux jusqu’à fin octobre. La première étape du plan de reprise des activités touristiques comprend la réouverture de 5 musées (musée de la Nubie à Assouan, musée de Louxor, musée d’Art islamique, musée Copte et Musée National Égyptien au Caire) et de 8 sites archéologiques (les temples d’Abu Simbel, de Philae, de Karnak, de Louxor, Vallée des Rois, Deir el-Bahari, pyramides de Gizeh et citadelle du Caire) dans l’ensemble du pays et ce dans le respect des règles sanitaires.
En visite à Assouan, le Premier ministre a observé l’avancement des travaux du souk touristique. Ce dernier devrait être couvert et présenter des vitrines harmonisées. Aux alentours, une fontaine et des places de stationnement ont été aménagées. Dans le prolongement du souk, la Place du gouvernorat doit aussi être rénovée, notamment pour accueillir des espaces verts ainsi qu’un centre commercial de 5 étages où se trouveront des cafés, des restaurants et des cinémas. Le siège du gouvernorat, lui, devrait être déplacé vers New Aswan à l’horizon 2032. Un projet de développement du tourisme fluvial est d’ailleurs en cours dans cette ville nouvelle située à 15 km au nord d’Assouan sur la rive gauche du Nil.
Faire de Sainte Catherine un site touristique d’ampleur internationale
Le président Abdel Fattah al-Sissi souhaite accroître la renommée du monastère Sainte Catherine dans le Sinaï et en augmenter les capacités touristiques. L’objectif est notamment d’amener les touristes à passer une nuit sur le site afin de développer l’économie locale. Aujourd’hui, les visites se font plutôt à la journée depuis les stations balnéaires de la Mer Rouge. Le gouvernement égyptien entend notamment développer l’aéroport de Sainte Catherine jusqu’ici peu utilisé et plutôt réservé à l’armée. Il prévoit aussi l’amélioration des réseaux routiers et de communication. Des travaux de restauration et de mises aux normes sont en cours au sein du monastère. Ce projet s’inscrit dans un plan de développement plus large de la région qui comprend entre autres la construction de logements et la promotion d’une agriculture durable.
Miser sur le tourisme intérieur
Ailleurs dans le pays, le gouvernement cherche à développer le tourisme domestique. En ce sens, une campagne de sensibilisation à l’archéologie et au patrimoine culturel a été lancée en juillet dans le Delta, à Port Saïd et à Marsa Matrouh. Les jeunes sont la population cible de ces actions. La campagne « Alexandrie sous nos yeux » s’inscrit aussi dans cette dynamique.
Environnement : lutte contre la pollution
Poursuite des efforts dans le traitement des déchets
Alors que des citadins se plaignent du manque d’hygiène des rues, par exemple à plusieurs reprises durant l’été à Ras Gharib sur la Mer Rouge, les collectivités poursuivent leur lutte contre les décharges urbaines. C’est le cas à Ismaïlia où une ancienne décharge a été transformée en jardin public, à Menouf (Menoufeyya) ou encore à Mahallat el Kubra où plus de 60 tonnes de déchets ont été évacuées. Une vaste opération de nettoyage et d’embellissement des rues a eu lieu au mois d’août dans les villes du gouvernorat de Kafr el-Cheikh Dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau système de gestion des déchets solides, de nouveaux équipements sont livrés dans les gouvernorats, à commencer par celui de Gharbiyya. Ce nouveau système prévoit notamment la fermeture des décharges illégales, la création d’usines de recyclage, des campagnes de sensibilisation. Le Premier ministre affirme que ce dossier est une priorité du fait de son impact tant sur l’environnement que sur les conditions de vie des citadins. Il y voit également des opportunités de création d’emplois. Le ministère de l’Environnement cherche également à intégrer les acteurs du secteur informel qui interviennent aux différentes étapes du traitement des déchets, légalisant ainsi leur action. La Chambre des Représentants a approuvé fin août le projet de loi sur le nouveau système de traitement des déchets.
Ce dernier vise également à restreindre la pollution en ville. Si la pollution atmosphérique a diminué à l’automne 2019 (moins 55 % par rapport à 2018), les différents ministères doivent poursuivre leurs efforts, notamment en limitant la combustion des déchets, mais aussi d’autres matériaux comme la paille de riz au moment des récoltes. D’autres activités comme celles des fonderies et des briqueteries sont mises en cause. Le gouvernement est d’ailleurs en négociation avec la Banque mondiale pour l’attribution de 200 millions de dollars en soutien au programme du Grand Caire de lutte contre la pollution de l’air.
Favoriser des modes de transports respectueux de l’environnement
Le ministre des Entreprises publiques annonce un accord entre l’entreprise automobile publique en cessation d’activité depuis 2009 El Nasr et la firme chinoise Dongfeng Motor pour produire des voitures électriques en Égypte. En accord avec les directives du gouvernement, les sociétés de transports en commun commencent à utiliser le gaz naturel comme carburant pour leurs véhicules. Vingt de ces autobus respectueux de l’environnement devraient être mis en service dans la capitale (150 sont prévus au total). Les entreprises privées sont aussi encouragées à agir dans ce sens. La Banque européenne d’investissement a accordé un financement de 1,1 milliards d’euros à l’Égypte pour soutenir différents projets dans le domaine des transports. L’objectif est de promouvoir le passage de la voiture privée à des modes de transport plus durables.
Pour une meilleure gestion des épisodes pluvieux
Dans l’éventualité de nouvelles fortes intempéries hivernales (voir Revue de presse du mois de mars), le ministère du Logement cherche des solutions à la fois temporaires et pérennes et essaye d’anticiper par l’entretien des égouts et l’achat d’équipements de pompage.
Géopolitique : Le Grand Barrage Ethiopien de la Renaissance (GERD), le cycle des négociations et des blocages continue
L’Ethiopie a annoncé la finalisation de la première phase de remplissage du barrage grâce à une saison des pluies abondante. Après son refus de voir les Conseil de Sécurité des Nations Unies être impliqué et sa volonté de maintenir des négociations dans un cadre régional, les discussions trilatérales entre le Soudan, l’Egypte et l’Ethiopie se sont poursuivies arbitrées par l’Union Africaine et avec la présence d’observateurs et d’experts américains, européens et africains. Le Soudan et l’Egypte craignent une réduction de leur ressource en eau notamment en période de sécheresse. . Le Ministre égyptien de l’Irrigation s’attend également à de plus fortes inondations. Le ministre soudanais de l’Irrigation, Yasser Abbas, souhaite donc une implication plus importante d’experts pour déterminer les détails techniques du remplissage du barrage. Les deux pays souhaitent un accord qui contraindrait légalement les trois pays notamment concernant la quantité d’eau retenue par le GERD. Le rapprochement des positions soudanaises et égyptiennes s’inscrit dans un contexte de coopération accrue annoncée entre les deux pays concernant les réseaux électriques, les infrastructures ainsi que les domaines de la santé, de l’éducation, du commerce et des ressources en eau.
L’Ethiopie a proposé en août un accord non-contraignant qui ne formulait que des recommandations. Selon l’Egypte, cet accord va à l’encontre des préconisations de l’Union Africaine et le Soudan a menacé de se retirer des négociations tripartites. Les négociations ont repris ensuite mi-août sans qu’aucun détail technique ou légal ne soit fixé. Les négociations sous l’arbitrage de différents pays ou de différentes institutions internationales n’ayant pas abouties, un article d’Al-Ahram s’interroge sur les motivations de chaque pays à réellement trouver un accord et parle d’une « même vieille histoire ». Après l’annonce des Etats-Unis de suspendre 130 millions de dollars d’aides étrangères pour l’Ethiopie en raison de ce blocage des négociations, un autre article d’Al-Ahram évoque des solutions alternatives telles que la possibilité de l’Union Africaine d’user de pressions envers les pays afin qu’ils adoptent un accord.
L’Egypte considère que trouver un accord juste et durable est un enjeu pour sa sécurité nationale. Même si une militarisation du conflit n’est pas d’actualité, une guerre contre l’Ethiopie est menée par des hackers contre des sites gouvernementaux éthiopiens, déplaçant la « guerre de l’eau » dans l’espace virtuel.
Florian Bonnefoi et Laura Monfleur