Quelle approche adopter ?
Face à l’augmentation constante et rapide du nombre d’infectés, le syndicat des médecins a dénoncé le nouveau protocole médical mis en place par le ministère de la santé, et a appelé à de nombreuses reprises à la mise en place d’un confinement total. Après des hésitations, les autorités semblent finalement opter pour une réouverture prochaine des lieux accueillant du public, dans l’optique de minimiser l’impact économique du virus.
Coexister avec le COVID-19 ?
Depuis la fin du mois d’avril, le gouvernement travaille à une nouvelle stratégie qui vise à « coexister avec le virus ». Pas encore appliquée, cette stratégie déclinée en trois étapes a connu des évolutions au cours du mois de mai, alors que le nombre d’infectés du COVID-19 est en constante augmentation. Tandis que début juin les chiffres officiels comptabilisaient 16 080 malades – avec un total de 23 449 cas depuis la mi-février – et une moyenne de plus de 1000 nouveaux cas de contamination quotidiens, les autorités semblent se préparer à une réouverture prochaine des restaurants, café et clubs de sports et lieux de cultes.
Des appels à la responsabilisation des citoyens ont émergé en parallèle de cette stratégie. La Ministre de la Santé, le Dr. Hala Zayed, estimait le 9 mai que l’augmentation des infections était causée par le comportement des citoyens, et que l’État égyptien avait fait tout son possible pour contenir l’infection.
Des divergences apparaissent quant à l’estimation du pic d’infections, qui selon le Ministre de l’éducation supérieure serait atteint à la mi-juillet, tandis que le Conseiller présidentiel en matière de santé penche pour la mi-juin.
Évolution des mesures sanitaires obligatoires
Après de nombreux appels, notamment du syndicats des médecins, pour imposer un couvre-feu complet, arguant que l’activité économique est généralement ralentie pendant le mois de Ramadan, le gouvernement a finalement décidé de restreindre le couvre-feu pendant la semaine de l’aïd. Ainsi, la semaine du 24 au 30 mai a vu le couvre-feu débuter à 17h, alors qu’il avait été étendu les semaines précédentes à 21h. Les transports en publics, à l’exception des taxis et ubers et des micro-bus, ont été arrêtés pendant cette semaine. Tous les magasins, plages et parcs ont été fermés, et les trajets entre gouvernorats interdits.
A partir du 30 mai, le début du couvre-feu a été étendu à 20h et le port du masque a été rendu obligatoire dans les espaces publics (supermarchés, magasins, banques, institutions gouvernementales) et les transports. Une amende de 4000 EGP est imposée en cas de non-respect des nouvelles règles. Le couvre-feu partiel prend désormais fin à 5h du matin à la place de 6 h. Le Conseil des ministres a demandé aux entreprises de textiles égyptiennes de produire des masques réutilisables en tissus à bas prix – 5 EGP environ – alors que les Forces armées s’étaient engagées en avril dans une production accélérée de masques chirurgicaux. Des usines de textiles, comme celle Mahala al kubra, ont doublé leur production quotidienne, passant de 70 000 à 140 000 masques par jours.
L’obligation du port du masque, point central de la stratégie « coexister avec le virus », a suscité des inquiétudes au sein du Parlement, notamment au regard de la production de « faux masques » et de prix de vente très élevés.
Un nouveau protocole médical décrié par les professionnels de la santé
A la mi-mai, le Ministère de la santé a annoncé la mise en place d’un nouveau protocole médical.
Alors que début mai, les autorités rapportaient avoir conduit 105 000 tests PCR, le nouveau protocole stipule que les patients suspectés d’être atteins du COVID 19 doivent d’abord faire une radio du thorax, des tests sanguins et obtenir une recommandation de deux spécialistes avant de pouvoir effectuer un test PCR. Fin mars, l’Organisation Mondiale de la Santé estimait que l’Égypte était en capacité d’effectuer jusqu’à 200 000 tests. Fin mai, le Ministère de la Santé a annoncé que les personnes souffrant de syndromes respiratoires, de forte fièvre et de diahrrée seraient traitées comme des cas de COVID-19. Ces personnes devront tout de même effectuer la série d’examens indiquée ci-dessus avant de pouvoir effectuer un test PCR, présenté comme une mesure secondaire.
Alors que les hôpitaux d’isolement pour les patients atteints du COVID-19 sont arrivés à saturation début mai, les autorités encouragent les malades avec des syndromes légers à rester chez eux et ont publié guide indiquant les mesures à prendre. La ministre de la Santé Dr. Sayed a ordonné la distribution de « kits de santé » dans de nombreux gouvernorats à l’attention des personnes ayant été en contact avec des malades.
Le nouveau protocole a été immédiatement dénoncé par le Syndicat des médecins et le Syndicat des infirmiers. En effet, le fait d’avoir été en contact direct avec un patient infecté n’est plus suffisant pour que les médecins se fasse tester, ces derniers doivent s’auto-diagnostiquer.
Face au manque de personnel soignant, le nouveau protocole stipule également que les hôpitaux ne doivent plus organiser de rotations entre les équipes de 14 jours, estimant que la période d’isolement n’est pas nécessaire pour le personnel médical. Alors que de nombreux hôpitaux avaient fermé des départements dans lesquels des cas avaient été découverts au début de l’épidémie, les hôpitaux ont désormais reçu l’ordre de ne fermer aucun département ou installation, même si des cas y sont découverts.
Le Syndicat des médecins a estimé que ces mesures étaient dangereuses : des médecins travaillent alors qu’ils peuvent-être en période d’incubation et risquent ainsi d’infecter leurs collègues et de propager le virus. Le syndicat estime que des tests réalisés au plus tôt seraient bien moins couteux que les traitements pour les gens infectés.
Vives tensions entre le personnel médical et le Ministère de la Santé
Alors que le nombre de décès du COVID 19 parmi le personnel médical est en augmentation rapide, la mort fin mai d’un jeune médecin âgé de 32 ans, qui exerçait à l’hôpital de Mounira dans le centre du Caire, a mis le feu aux poudres. Présentant des symptômes de COVID 19, ce jeune gynécologue n’a pas pu trouver de lit, ni être testé en raison du nouveau protocole de test mentionné plus haut. Face à des conditions de travail décriées comme dangereuses, de nombreux travailleurs médicaux ont menacé de démissions massives, certains médecins démissionnant véritablement. Le Syndicat des médecins à part ailleurs menacé de prendre toutes les mesures légales nécessaires contre le Ministère de la Santé, dénonçant des négligences répétées et la mise en danger du personnel médical par les autorités. Le Ministère de la Santé a finalement annoncé fin mai l’équipement d’un hôpital réservé au personnel médical, ainsi que la mise en place d’une zone de quarantaine dans chaque hôpital pour les travailleurs hospitaliers infectés. Le Premier ministre s’est engagé à fournir un test PCR aux médecins qui avaient été en contact avec des cas confirmés, quels que soient leurs symptômes.
Cependant sur demande du Cabinet du 1er ministre, des gouvernorats ont interdit début juin au personnel médical de prendre des jours de congés le temps de la durée de la crise.
Ces décisions interviennent alors qu’à la mi-mai, un médecin souffrant de maladie chronique avait été licencié pour ne pas être venu travailler, les autorités appelant à une mobilisation inconditionnelle des travailleurs médicaux. Désignés comme « l’armée blanche » qui, au même titre que les soldats, a pour mission de sauver la nation, le personnel médical est appelé à travailler sans relâche dans la lutte contre le COVID-19, quitte à se sacrifier. Par ailleurs, le syndicat des médecins, puis celui des infirmiers, ont déposé une demande aux autorités pour que leurs membres qui décèdent du COVID 19 soient considérés comme des martyrs, au même titre que la police et les Forces armées, et que leurs familles reçoivent des rétributions similaires. En attendant la validation de cette demande, les syndicats ont mis en place un système de rétribution aux familles des médecins et infirmiers qui meurent du COVID 19.
Augmentation des capacités et hôpitaux privés
Le Ministère de la Santé a annoncé fin mai que 376 hôpitaux étaient désormais en mesure de dépister le COVID-19, alors qu’ils étaient 320 avant l’aïd. Face à la saturation des hôpitaux, l’attention s’est également portée sur le secteur privé. Le Cabinet du 1er ministre a décidé début juin de plafonner les prix des soins pour le COVID 19 pour lutter contre les abus. Les limites ont été fixées à 1 500 à 3 000 EGP par jour pour une place dans un hôpital d’isolement, une place en soins intensifs sans ventilateur coûte 5 000 à 7 000 EGP, et un traitement avec un ventilateur à 7 500 à 10 000 EGP. Pour s’assurer du respect de ces mesures, des médecins ont appelé au contrôle des hôpitaux privés par le gouvernement le temps de l’épidémie ou à une surveillance accrue de leurs pratiques.
Impact économique
Nouveau prêt du FMI
Pour parer aux dégâts économiques causés par le COVID-19, l’Égypte a fait une demande de prêt d’urgence au FMI, qui a été acceptée à la mi-mai. Ce prêt s’élève à 2.77 milliards de dollars avec un taux d’intérêt de 1% et un remboursement étendu sur cinq années. L’Égypte connait en effet une grande perte de ses devises étrangères, estimée à 8 milliards de dollars, depuis les premières mesures prises pour lutter contre le COVID-19.
Report des impôts pour certains domaines
De nouvelles mesures ont été annoncées concernant l’échelonnement du paiement des impôts pour certains secteurs d’activités tels que les transports aériens, le tourisme et le secteur hôteliers, les médias et les entreprises d’exportation. L’ensemble des mesures prises pour soutenir le secteur économique est consultable ici.
Vers une réouverture du secteur touristique ?
Le secteur du tourisme, ressource fondamentale de l’économie égyptienne qui a subi de plein fouet l’impact du COVID-19, se prépare à rouvrir. Plusieurs mesures sont mises en places. Tout d’abord, des certificats sanitaires sont distribués dans les hôtels qui respectent les normes sanitaires exigées par les autorités. Une réduction du prix du visa touristique, qui passerait de 25 à 15 dollars a été annoncée.
L’emploi et le COVID-19
Alors que le CAPMAS a annoncé à la mi-mai que le taux de chômage avait atteint 7.7% au premier semestre 2020, contre 8% fin 2019, les chiffres du chômage pour le mois d’avril atteignent 9,2%. Des mesures ont été prises depuis le début de la crise du COVID-19 pour aider les travailleurs du secteur informel, notamment avec un soutien financier qui s’élève à 500EGP mensuel, alors que les travailleurs informels sont touchés de plein fouet par la crise. Une collecte de fond a également été lancée par les autorités à la mi-avril.
Face à ces tentatives de soutien au secteur informel, une coupe de 1% des salaires des fonctionnaires a été annoncée à la mi-mai, et sera appliquée début juillet pendant une période de 12 mois. Une réduction de 0,5% des retraites de la fonction publique a également été annoncée. Les employés dont le revenu plafonne ou est inférieur à 2000 EGP seraient exemptés.
Des grèves ont éclaté dans plusieurs usines, notamment dans les gouvernorats d’Alexandrie et de Giza, mais aussi à Ismailia, alors que les employés n’avaient pas reçu leurs salaires.