Les intempéries mettent les infrastructures urbaines sous pression
Entre le 12 et le 14 mars, l’Égypte a été frappée par de fortes intempéries avec des précipitations allant jusqu’à 60-70 mm d’eau. Selon le Premier ministre, il serait tombé près d’un demi-milliard de mètres cube d’eau sur le pays en deux jours. Les fortes pluies et le vent ont causé des dégâts matériels et humains (18 morts) et ont mis à l’épreuve les infrastructures de transports de la capitale. Suite à la collision de deux trains entre les stations de Ramsès et d’Imbaba ayant fait 13 blessés, le trafic ferroviaire ainsi que la ligne 1 du métro du Caire ont été suspendus. Certaines stations se transformaient en véritables rivières. Parmi les autres dégâts, on dénombre la chute d’un minaret, de plusieurs arbres et poteaux électriques. L’état d’urgence ainsi que qu’un jour chômé, avec fermeture des commerces, des écoles et des universités, ont été déclarés le jeudi 12 mars afin de limiter les circulations en ville. Des mesures ont également été prises pour venir en aide aux sans-abris dans la capitale (distribution de repas et de couvertures, mise à l’abri des plus fragiles).
Si la tempête a principalement touché la partie Nord du pays, le Sud n’a pas été épargné, notamment à Qena où trois enfants sont décédés. Plusieurs autoroutes de Haute-Égypte on également été fermées.
Le bilan des dégâts est estimé à 800 millions de livres égyptiennes. Le président Abdel Fattah al-Sissi a annoncé un plan pour améliorer le traitement des eaux usées et le réseau d’égouts dans le pays. En effet, cet épisode climatique pose la question de la capacité des villes égyptiennes et de leurs infrastructures à réagir en cas de pluie. Pendant plusieurs jours après les intempéries, de nombreuses rues du centre-ville du Caire sont restées inondées malgré les opérations de drainage. De pareilles opérations ont été menées dans d’autres villes du pays, comme dans le gouvernorat de Beni Suef afin de rétablir les circulations au plus vite.
En outre, début avril, des mesures logistiques et financières ont été annoncées pour venir en aide au quartier d’Al-Zarayeb à Helwan où plusieurs maisons s’étaient effondrées, faisant une dizaine de morts. Ces mesures s’inscrivent plus globalement dans la volonté du gouvernement de développer cette zone du Sud de la capitale connue pour être l’un des quartiers des chiffonniers du Caire.
Ce que le Corona fait à la ville et au territoire
Le premier cas touché par le Corona a été confirmé le 14 février en Égypte et à ce jour (7 avril), 1 450 cas ont été confirmés officiellement.
Face à la pandémie, le gouvernement a mis en place progressivement plusieurs mesures : interdiction des rassemblements, fermeture des écoles et des universités, fermeture des cafés, bars, restaurants, magasins, malls, boîtes de nuit, parcs et casinos de 17h à 6h et pendant le week-end, couvre-feu de 19h à 6h à partir du 25 mars. Le Ministère des Awqaf ainsi que l’Église Catholique Copte ont suspendu les prières collectives. Néanmoins, certaines personnes dénoncent l’insuffisance de ce confinement qui n’est que partiel tandis que d’autres soulignent l’importance de ces mesures qui traduisent une solidarité sociale à l’échelle du pays malgré les pertes économiques.
Ces mesures ralentissent le rythme de la ville. Au Caire, de nombreux événements artistiques sont annulés comme le festival du centre-ville, D-Caf et de nombreux lieux culturels ont fermé comme le cinéma Zawya ou l’Opéra. Néanmoins, artistes et lieux culturels prolongent leur activité en offrant concerts, films ou documentaires sur Internet. Le Ministère de la Culture propose des projections de concerts et de ballets en ligne. Cette digitalisation des activités culturelles pourrait avoir un aspect positif comme le souligne certains commentateurs dans Al-Monitor : elle permettrait une plus grande visibilité de l’art et de la culture en Égypte, notamment auprès des jeunes, poursuivant la modernisation de l’image de la culture égyptienne entreprise depuis quelques années par certaines institutions culturelles.
La situation invite aussi à repenser les pratiques de consommation en ville : certains supermarchés ont annoncé des heures réservées aux achats des personnes âgées qui sont les plus vulnérables face au virus ; d’autres ont ouvert des services de livraison. Les chambres de commerce ont annoncé qu’il n’y aurait pas de rupture d’approvisionnement dans les villes et les villages et que les épiceries ont mis en place des mesures préventives en réduisant la taille des équipes de travail et en respectant les distances de sécurité. Elles ont ainsi affirmé que les livraisons à domicile ont augmenté de 200 % en mars. Elles ont appelé les citoyens à ne se déplacer dans les commerces que pour des achats de première nécessité sans chercher à faire des stocks. En effet, à l’annonce des premières mesures, les consommateurs se sont rués dans les commerces pour faire des stocks, créant une pénurie temporaire de certains produits.
Plus largement, cette pandémie a un impact sur le territoire égyptien notamment sur le tourisme à la suite de la suspension des vols et de la fermeture des aéroports. Des campagnes de sensibilisation ont été menées dans de nombreux lieux touristiques au Caire et en Haute-Égypte, avant que ces derniers ne soient fermés au public et désinfectés. Les plages ont été aussi fermées. Alors que les revenus du tourisme avaient augmenté de 28 % pour l’année 2018-2019 par rapport à l’année 2017-2018, le Ministère du Tourisme et des Antiquités a annoncé à la télévision que les pertes du secteur touristique s’élèveraient à un milliard de dollars par mois. La société pour le tourisme et l’hôtellerie a annoncé une baisse de réservations de 30 % dans les hôtels du centre-ville pour la première moitié du mois de mars. Le ministère du Tourisme et des Antiquités a néanmoins affirmé son soutien aux personnes qui luttent contre la pandémie en illuminant la pyramide de Kheops à Giza et en projetant le message « Stay Home. Stay safe. Thank you to those keeping is safe ».
Face aux possibles répercussions économiques de cette pandémie, le président Abdel Fattah al-Sissi a annoncé plusieurs mesures : la baisse des dettes pour les petites et moyennes entreprises, la suspension des taxes immobilières pour les usines et les infrastructures touristiques pendant trois mois, la suspension des taxes sur les terres agricoles, l’allocation de 50 milliards de livres égyptiennes pour le financement de l’immobilier et de 50 milliards également pour le secteur touristique.
Aménagement urbain entre lutte contre l’habitat informel et grands projets
Immobilier : entre logements abordables et privatisation
La Banque mondiale a annoncé un financement de 500 millions de dollars pour améliorer les conditions de logement des ménages les plus pauvres en Égypte. Ce financement s’inscrit dans le cadre du Programme de Financement pour un Logement Inclusif lancé en 2015. Ce programme cible en particulier les familles avec de jeunes enfants qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et a pour but de faciliter leur accès à un logement « formel » et abordable. Ce programme encourage également la participation du secteur privé dans le financement et la construction de logements sociaux. La ministre égyptienne de la Coopération Internationale, Rania al-Mashat, souligne que l’urbanisation va de pair avec le développement et que la création de logements sûrs et abordables permet de forger des sociétés et des économies résilientes.
Dans le centre-ville, 7 900 logements détenus par le ministère des Affaires par le biais de la compagnie de gestion immobilière, Misr Real Estate Asset Management Company, ont été évacués pour être replacés sur le marché privé du logement. Pour choisir les investisseurs privés, deux critères sont mis en avant : la maximisation du profit pour la compagnie et le respect de l’héritage architectural de ces bâtiments datant de l’époque du Khédive Ismail.
Réaménagement du centre et Nouvelle Capitale
Les aménagements de la place Tahrir quant à eux se poursuivent. Le ministère du Tourisme et des Antiquités a annoncé que les travaux étaient sur le point de s’achever. Un obélisque datant de Ramsès II a été transporté de San el-Hagar dans le gouvernorat de Sharqiyah en vue d’être installé sur la place (voir Revue de presse Villes, mobilités, environnement – février 2020).
Le transfert des activités gouvernementales vers la Nouvelle Capitale se poursuit également. Elle devrait accueillir 29 institutions étatiques et près de 6,5 millions d’habitants. Il en va de même de la production de logements : 40 000 logements sont prévus pour le mois de juin.
Néanmoins, la mise en place de mesures de protection sur les chantiers de construction afin d’endiguer l’épidémie de COVID-19 a également des effets sur les grands projets urbains au Caire. Le président Abdel Fattah al-Sissi a ainsi reporté à 2021 le déplacement des activités gouvernementales vers la Nouvelle Capitale ainsi que l’inauguration du nouveau Grand Musée Égyptien situé à proximité des pyramides. Ce dernier devait ouvrir ses portes à la fin de l’année. À terme, il devrait accueillir près de 50 000 objets, dont l’intégralité du trésor de Toutankhamon. Avec les pyramides, ce musée devrait constituer le fer de lance de l’offre touristique cairote et égyptienne. Cette dernière tend d’ailleurs à s’étoffer depuis le début de l’année 2020 avec l’achèvement de projets de restauration et de valorisation patrimoniale : réouverture prochaine du palais du Baron Empain à Héliopolis, restauration d’églises sur le chemin de la Sainte Famille, rénovation de la synagogue Eliyahu Hanavi à Alexandrie en février dernier.
Les transports : dépolluer et décongestionner la ville
Au niveau des transports, le pays semble poursuivre ses objectifs de durabilité en favorisant l’énergie électrique. Ainsi, La compagnie Mwasalat Misr a annoncé la mise en service des bus éco-responsables X-Bus sur les lignes Adel Moneim Riad-New Cairo le 5 février 2020. Ces bus électriques, dont le ticket coûte tout de même 25 LE, peuvent accueillir 44 passagers. L’entreprise prévoit de généraliser ces modèles sur ses autres lignes. Par ailleurs, un accord a été conclu avec la firme Mercedes pour fournir 20 bus éco-responsables à la Nouvelle Capitale, disposant du Wifi et de la climatisation, avec une capacité totale de 100 passagers. La Nouvelle Capitale se veut à la pointe de la technologie. Le ministère des Transports a fait un point sur la construction d’un train électrique dont la mise en service devrait prendre effet d’ici deux ans. La ligne devrait faire 70 kilomètres et desservir 12 stations entre d’un côté Adly Mansour à Salam City (ligne 3 du métro) et de l’autre 10 de Ramadan et la Nouvelle Capitale, et ainsi mieux relier les villes nouvelles, notamment Obour et Shorouk, au centre du Caire. Enfin, à partir de novembre, l’Égypte commencera à produire des bus électriques avec un objectif de 2 000 véhicules en quatre ans. Ceci s’inscrit dans une volonté plus générale de promouvoir la production automobile électrique dans le pays. Des négociations sont également en cours pour élargir les services de l’entreprise Uber à la Nouvelle Capitale et pour la mise en place d’un forfait mensuel à destination les employés gouvernementaux qui devront s’y rendre.
Plus généralement, le pays tente de décongestionner ses axes routiers. En ce sens, il mène un vaste plan d’amélioration des transports ferroviaires et de développement du fret afin de diminuer le trafic routier. Un financement de la Banque européenne vise notamment à moderniser la ligne Tanta-Mansoura-Damiette dans le Delta. Au Caire, le périphérique (Ring Road) va être élargi d’ici fin 2020 passant de 3-4 voies à 7-8 voies. Le ministère des Transports envisage également la mise en place d’un ticket unique pour circuler en bus et en métro.
Le ministère de l’Intérieur met aussi en place un contrôle électronique du trafic et demande aux conducteurs de se munir d’un e-sticker permettant le référencement et le repérage de leur véhicule. L’objectif est de permettre de repérer les axes saturés et d’aider la police à diriger les automobilistes vers des itinéraires alternatifs.
Des travaux sont également prévus à Alexandrie afin d’augmenter la capacité d’accueil du port. Alors que 60 % du commerce extérieur égyptien transite par ce port, il devrait être capable d’accueillir de plus gros porte-conteneurs.
Vers une nouvelle gestion des déchets
Face à l’augmentation de la production de déchets électroniques, le ministère de l’Environnement prévoit des réformes pour normaliser le secteur informel qui prend pour l’instant en charge ces déchets, en coopération avec le PNUD. Une application va d’ailleurs être mise en œuvre pour permettre la récolte directement au domicile des consommateurs de ces déchets qui devront ensuite être recyclés. Cette annonce s’inscrit dans un plan plus large de gestion des déchets. Un plan de 12 milliards de livres pour la mise en place d’un nouveau système de traitement comprend notamment la fermeture des décharges informelles du Caire et de Giza. L’espace libéré sera dédié à des services publics. Deux sites sont envisagés à Al Korimat et à 6 Octobre pour accueillir deux décharges légales qui seraient alors les seules autorisées. Néanmoins, le syndicat des ramasseurs d’ordures dénonce l’éloignement trop important au centre de ces deux sites pour les collecteurs de déchets.
Dans la capitale, le district de Zamalek adopte des mesures pour limiter l’usage des sacs plastiques.
En période de crise sanitaire, les gouvernorats d’Assiout, de Qena, de Gharbiya et de Kafr el Sheikh ont pris des mesures pour évacuer plus efficacement les déchets afin de lutter contre l’épidémie de COVID-19.
Les impasses d’un accord pour le Grand Barrage de la Renaissance
Alors qu’un accord semblait se profiler entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte concernant le Grand Barrage de la Renaissance (voir Revue de presse Villes, mobilités, environnement – février 2020), l’Éthiopie s’est retirée le 26 février 2020 de la réunion à Washington qui devait se tenir le lendemain. En raison de la potentielle baisse de leur approvisionnement hydraulique, le gouvernement Égyptien prépare un plan de rationalisation de la consommation en eau dans le pays. Ce plan dont une partie se manifeste sous forme d’une loi proposée devant le Parlement prévoit le développement des systèmes modernes d’irrigation, la réduction des cultures intensives en eau et des sanctions contre les agriculteurs qui consommeraient trop d’eau. Le 6 février, le sous-secrétaire du ministère de l’Agriculture, à la tête également de la Direction de l’Agriculture du Fayoum, avait organisé une formation sur la rationalisation de l’utilisation de l’eau d’irrigation.
Les négociations semblent se compliquer depuis la signature d’une résolution par 22 pays membres de la Ligue arabe, sous l’égide de l’Égypte. Cette résolution affirme les droits historiques de l’Égypte et du Soudan sur les eaux du Nil. Toutefois, le Soudan qui n’a pas signé cette résolution, a affirmé n’avoir pas été consulté et souhaite le retrait du nom du pays de la résolution. Le Soudan refuse une internationalisation du conflit concernant le Grand Barrage de la Renaissance.
Si les considérations du débat sont techniques (voir Revue de presse Villes, mobilités, environnement – février 2020), les négociations semblent prendre un tour diplomatique avec la visite de sept capitales arabes puis de Paris et de Bruxelles par le ministre égyptien des Affaires Étrangères, Sameh Shoukry, afin de faire valoir les droits égyptiens sur les eaux du Nil aux yeux de la communauté internationale. Dans cette guerre diplomatique, l’Éthiopie et l’Égypte s’accusent mutuellement d’annoncer de fausses informations. Selon Al Monitor, le passage des acteurs de l’expertise aux acteurs politiques dans le débat montre que les enjeux ne sont pas uniquement techniques mais relèvent aussi de la sécurité et de la paix dans la région. Des Égyptiens à l’étranger ont montré leur soutien à leur pays en manifestant devant la Maison-Blanche à Washington et en lançant une campagne électronique afin que les États-Unis s’investissent davantage dans cette négociation.
Florian Bonnefoi et Laura Monfleur