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L’aménagement de la place Tahrir déclenche la polémique
Le centre-ville du Caire fait actuellement l’objet de nombreuses rénovations visant à en faire un espace touristique au cœur de la ville (voir Revue de presse Ville, mobilités, ressources – Janvier 2020). Si tout le quartier est concerné, du marché d’Ataba au triangle de la Bourse, les travaux en cours sur la place Tahrir sont au centre de l’attention. Au-delà d’une reconfiguration complète, au profit d’espaces verts et piétons, la décision, fin décembre 2019, du Premier ministre, Mostafa Madbouli, d’y installer un obélisque pharaonique représentant Ramsès II et quatre sphinx du temple de Karnak (Louxor, Haute-Egypte) fait polémique.
Alors que le directeur du temple de Karnak a rappelé que ces quatre sphinx n’étaient de toute façon pas au centre du temple et qu’ils étaient peu vus par les visiteurs, les archéologues et l’Unesco ont condamné ce transfert. En invoquant la Charte de Venise sur la conservation et la restauration des monuments et des sites (1964), afin de souligner l’importance du lien entre un monument et sa localisation, ou en indiquant que la pollution atmosphérique risque d’endommager les vestiges, ils refusent une restructuration qui va à l’encontre à la fois de la conservation du patrimoine national et de la valeur historique et symbolique de la place Tahrir. Egyptian Streets insiste sur le fait que le gouvernement devrait se concentrer sur la fonction sociale de la place, plutôt que d’y importer des antiquités pharaoniques.
Le développement de sites touristiques à travers le pays
Hormis le centre-ville et la place Tahrir, l’Egypte cherche à développer les activités touristiques dans tout le pays, en multipliant les sites attractifs. Le Grand musée égyptien, où sont progressivement déplacées les collections de l’ancien musée de Tahrir, doit être inauguré à la fin 2020, après de nombreux retards dans les travaux. Situé à proximité des pyramides de Giza et constituant ainsi un vaste complexe touristique à la périphérie du Caire (hôtels en rénovation, nouvel aéroport à proximité), il devrait accueillir cinq millions de visiteurs par an. Le prix du ticket a été annoncé et irait de 30 LE (1,8 euro) pour les étudiants égyptiens à 400 pour les étrangers (23 euros).
En s’appuyant sur la (lente) reprise du secteur depuis 2011 et sur les signaux positifs renvoyés par les agences de tourisme occidentales, le gouvernement égyptien mise également sur d’autres sites. Le palais du baron Empain, qui a fait l’objet d’une longue rénovation, doit prochainement être à nouveau ouvert au public à Heliopolis, dans la banlieue du Caire, alors que le ministère du Tourisme et des Antiquités multiplie les mesures pour attirer les touristes: prix des billets d’entrée pour l’ensemble des sites de Haute-Egypte (Qena, Louxor, Assouan) divisés par deux pendant les vacances scolaires de janvier ; annonce de mise en place prochaine d’un système de réservation par internet ; mise en place de nouveaux guichets au musée de la mer Rouge à Hurghada.
La reprise en main du secteur touristique, en particulier autour de la mer Rouge
Derrière cet enthousiasme et la promotion généralisée de la valeur historique et patrimoniale de l’Egypte, le tourisme est surtout un secteur lucratif, qui a rapporté au ministère du Tourisme 9,8 milliards de dollars en 2018. Le gouvernement cherche à maximiser cette source de revenus en augmentant les taxes sur les professionnels du tourisme. Al-Akhbar révèle en effet que de nouvelles dépenses sont imposées aux propriétaires d’hôtels et de restaurants pour des opérations de rénovation ou de sécurité, que des pressions sont exercées pour qu’ils améliorent leur rendement, ou encore que le gouvernement cherche à faire appliquer, rétroactivement, des frais d’exploitation des plages aux hôtels de Charm El Cheikh (Sud Sinaï).
Cette brutale augmentation des taxes gouvernementales sur l’ensemble des acteurs du tourisme traduit une volonté d’accentuer le contrôle étatique sur le secteur, en particulier autour de la mer Rouge. En août 2019, un décret présidentiel y avait ainsi transféré la propriété de 47 îles aux forces armées égyptiennes. Si les stations d’Hurghada et Al-Gouna attirent encore une majorité de touristes, l’armée entend bien leur faire concurrence en développant les sites de Al-Jalala, Gamsha Bay, Zafarana et Ain Sukhna, où un méga projet d’infrastructures touristiques est en cours de construction. Selon Al-Monitor, le gouvernement soutient activement cette prise de contrôle de l’armée, exempte de toute taxe, en transférant des terres par décret. Les conséquences sur les petites entreprises civiles ne semblent pas prises en compte, ce qui conduit le journaliste à se demander si l’armée égyptienne n’est pas « sur le point de conquérir le tourisme de la mer Rouge. »
APPROVISIONNER
Un accord sur le Grand barrage de la Renaissance
Malgré la médiation des Etats-Unis et de la Banque mondiale dans les négociations concernant le Grand barrage de la Renaissance, les désaccords semblaient persister entre l’Ethiopie, qui construit le barrage, d’une part, et les pays en aval, le Soudan et l’Egypte, qui craignent pour leur approvisionnement hydraulique, d’autre part. Au-delà des droits historiques revendiqués par le gouvernement égyptien ou la mise en avant des conséquences environnementales, les contentieux sont surtout techniques, selon Al-Monitor. Les trois pays sont en désaccord sur le remplissage du barrage pendant la saison des pluies, sur la gestion des périodes de sécheresse, ou encore sur la création d’un mécanisme de compensation en eau et en électricité, qui pallierait d’éventuels problèmes lors du remplissage (voir Revue de presse Gouvernance et politiques publiques – Janvier 2020).
Pourtant, après plusieurs jours de négociations à Washington, les trois pays sont parvenus à un accord, le 1er février dernier, sur ce barrage qui doit fournir en électricité 100 millions d’Ethiopiens. D’après Egypt Independent, le compromis concerne plusieurs points: un calendrier pour le remplissage du barrage et un mécanisme d’atténuation pour le fonctionnement en cas de sécheresse prolongée. Malgré l’attachement réaffirmé à la coopération transfrontalière, « afin d’améliorer la vie des populations », Al-Akhbar reste prudent sur la mise en œuvre de l’accord et explique que les tensions géopolitiques persistent.
L’Egypte, un hub régional gazier…
Chypre, Israël et la Grèce ont signé en janvier dernier un accord sur un gazoduc, le EastMed pipeline, qui relie directement les champs de gaz israéliens aux pays consommateurs européens. Les responsables égyptiens assurent toutefois que cette infrastructure ne remet pas en cause leur volonté de faire du pays une plateforme régionale pour le commerce de gaz naturel en mer Méditerranée, un raccordement avec Chypre étant déjà prévu. L’Egypte importe désormais 200 millions de m3 de gaz israélien par jour, dont la majorité est destinée à l’exportation vers l’Europe. Les terminaux de liquéfaction présents dans le nord du delta du Nil sont en effet les principaux atouts du pays dans ce commerce.
Selon le ministre de l’Energie, Tareq el-Molla, ce statut exportateur n’est possible que depuis que l’Egypte a atteint l’autosuffisance gazière, en 2018 (voir Revue de presse Ville, mobilités, ressources – Décembre 2019). Renforcée par la découverte, en décembre dernier, d’un nouveau champ de gaz dans le désert, à l’ouest, cette stratégie commerciale est essentiellement tournée vers les entreprises étrangères et l’attraction de leurs investissements. Dans le même temps, les prix de l’essence et du transport restent élevés pour les Egyptiens, malgré des mécanismes de stabilisation des prix imposés par le FMI.
…et électrique ?
La même ambition de devenir une plate-forme régionale se retrouve dans le domaine de l’électricité. L’Egypte cherche à multiplier les accords de partage de réseau électrique avec les pays voisins, notamment le Soudan, mais aussi l’Arabie saoudite, la Libye et la Jordanie. L’objectif de ces raccordements semble être la promotion des entreprises égyptiennes et des sites de production locaux, comme la centrale nucléaire de Dabaa, en plein développement.
Sur le marché domestique, la priorité est à la réduction des erreurs commises par les agents qui relèvent les compteurs et qui conduisent à des sur-facturations. Le ministère de l’électricité et de l’énergie renouvelable a répondu au problème par le lancement d’une application mobile, permettant un relevé automatique et un paiement facilité des factures. Ce programme vise également une standardisation des données de consommation.
URBANISER
La Nouvelle capitale, plus grande, plus chère
L’achèvement de la Nouvelle capitale administrative, située à 50 km à l’est du Caire, continue d’être une des priorités des politiques d’urbanisation égyptiennes. Cette ville, construite dans le désert par une entreprise, la Capitale administrative pour le développement urbain (ACUD), détenue à 51% par l’armée et à 49% par le ministère du Logement, doit, à terme, s’étendre sur 700 km2, soit la superficie de Singapour. Pour l’instant, la « première phase » ne concerne que 168 km2, dont la moitié a déjà été vendue, selon un responsable. Ce nouveau pôle urbain doit principalement accueillir des ministères et des institutions nationales, mais aussi des universités et des infrastructures culturelles, regroupées dans une « Ville des arts et de la culture » avec l’objectif d’attirer des étudiants et des investisseurs étrangers,
Ce dernier objectif pourrait être impacté négativement par une hausse des prix de l’immobilier de 20% a été annoncée en janvier dernier. Le coût moyen du mètre carré de terrain résidentiel atteint 4500 LE (268 euros), entre 15 000 LE (893 euros) et 50 000 LE (2980 euros) pour les espaces commerciaux et 12 000 LE (715 euros) pour les zones administratives, le salaire moyen étant d’environ 300 euros. Au-delà de cette augmentation des prix, la Nouvelle capitale fait toujours face à des enjeux d’approvisionnement en énergie et en eau.
Enfin, le blocage temporaire du versement du prêt chinois, qui, avec trois milliards de dollars, constitue l’essentiel du financement de la Nouvelle capitale, est une limite majeure à l’achèvement des travaux. Le conglomérat de banques chinoises a en effet émis des doutes sur la capacité de l’Egypte à rembourser ce prêt, qu’elle a donc suspendu en l’attente de meilleures garanties et malgré les échanges économiques et commerciaux qui lient les deux pays.
Quelles conséquences sur l’aménagement du Grand Caire ?
La construction de la Nouvelle capitale administrative s’associe directement à la volonté, exprimée par le Premier ministre, Mostafa Madbouly, d’accélérer le développement du Grand Caire, ce qui signifie surtout la rénovation et l’agrandissement du réseau routier et des infrastructures de transport. Ces impératifs de modernisation sont mis en œuvre au détriment des espaces verts et patrimoniaux, notamment à Heliopolis.
Ce quartier, créé en 1906 « sur le modèle de la cité-jardin européenne » (L’Orient le jour) et qui est aujourd’hui une banlieue aisée du Caire, desservie par le métro, fait en effet l’objet d’aménagements massifs. Comme nous le soulignions dans la précédente édition de cette revue de presse, 390 000 m2 de surface arborée ont été rasés pour permettre la construction de ponts autoroutiers. D’après Al-Akhbar, les habitants se plaignent également de l’absence de respect de la dimension historique de ce quartier et d’une transformation qui privilégie les voitures et l’accès à la Nouvelle capitale par rapport à la circulation piétonne.
Loger 100 millions d’Égyptiens, le défi des périphéries nationales
Alors que la population égyptienne vient d’atteindre la barre des 100 millions, l’enjeu pour le gouvernement est de répondre à cette pression démographique par une augmentation du nombre de logements. L’urbanisation du pays ne se concentre donc pas uniquement sur le Grand Caire et la Nouvelle capitale, mais concerne aussi les régions périphériques, comme la Haute-Egypte et le Sinaï.
En marge de la dixième session du Forum mondial pour l’urbanisation, organisé par l’agence de l’ONU, UN Habitat, le président Abdel Fattah El Sisi et son ministre du Développement local, Mahmoud Shaarawy, ont ainsi rappelé l’importance qu’ils accordaient au développement des gouvernorats de Qena et Sohag, au sud du pays. Ces politiques s’inscrivent dans le cadre du plan « Egypte 2030 », qui vise une extension des zones urbaines sur l’ensemble du territoire national. Le Sinaï (voir Revue de presse Ville, mobilités, ressources – Janvier 2020) est également concerné, avec l’annonce du lancement de la construction de la ville de Salam, qui devra accueillir un million d’habitants.
L’ensemble de ces mesures et annonces, répertoriées dans cette revue de presse, permet de dresser le portrait d’une Egypte que ses autorités publiques veulent, avant tout, tournée vers l’international (hub régional énergétique, attirer les investisseurs étrangers dans la Nouvelle capitale) et la modernisation des infrastructures (réseau routier, infrastructures touristiques).
En bref :
Les habitants du quartier aisé et central de Zamalek ont signé une lettre ouverte au président égyptien, en se plaignant de la transformation de leur espace de vie en un « bidonville commercial ». Ils regrettent notamment la multiplication des cafés, des vendeurs de rue et des activités de contrefaçon.
Une cérémonie de compensation de la population nubienne, pour le déplacement d’une partie d’entre eux lors de la construction du barrage d’Assouan en 1902, a été organisée à Assouan le 20 janvier dernier. Le Premier ministre en a profité pour insister sur les nombreux projets de développement en cours dans la région et sur l’importance politique de la voix de cette minorité. Mada Masr propose une analyse critique détaillée de cet événement.
Corten Pérez Houis