Remaniement ministériel
Plusieurs mois après la première annonce d’un remaniement ministériel, celui-ci a finalement eu lieu fin décembre. Le changement le plus important est sans doute la réintroduction du Ministère de l’Information (voir ci-dessous). En outre, pas de changement concernant les gros portefeuilles que sont la défense, l’intérieur, la finance et les affaires étrangères. Le Ministère des Antiquités fusionne avec le Ministère du Tourisme, avec à sa tête le ministère des Antiquités du gouvernement précédent, Khaled al-Anany. Rania al-Mashat, ancienne ministre du tourisme, va diriger le Ministère de la Coopération Internationale à la place de Sahar Nasr. Nevine Gamea, qui était jusqu’à présent directrice de l’Agence égyptienne de développement des micro, petites et moyennes entreprise remplace Amr Nasser à la tête du ministère du Commerce. Enfin, le ministère des Investissements a été placé sous l’autorité du Premier Ministre Mostafa Madbuly. Devant certains doutes sur la capacité de ce dernier a gérer autant de portefeuilles, le Premier Ministre a souligné que l’Autorité Générale pour l’Investissement (AGI) a été ré-affiliée au Cabinet et que la responsabilité de l’investissement incomberait au président de l’AGI, Mohamed Abdelwahab.
Du mouvement dans les médias
Ainsi, le changement le plus important est sans doutes la réintroduction du Ministère de l’Information. Ce ministère a déjà existé sous diverses formes, le dernier en date étant le Ministère de l’Information, disparu en 2014. Il se trouve que le nouveau ministre de l’Information, l’ancien chef de la Commission des médias du Parlement Osama Heikal, était déjà à la tête du Ministère de l’information en 2011 sous le gouvernement intérimaire de Essam Sharaf.
Pour l’instant, les responsabilités du ministère ainsi que ses relations avec les agences de presse existantes ne sont pas claires. En effet, trois institutions en charge des médias existent déjà : l’Autorité Nationale des Médias, l’Autorité Nationale de la Presse, et le puissant Conseil Suprême de régulation des médias.
La loi votée en 2018, a donné un pouvoir très étendu au Conseil Suprême en stipulant notamment que les organes de presse devaient s’enregistrer auprès de ce dernier et l’autorisant à bloquer les sites des médias pour des raisons variées. En effet, le cadre juridique restreignant le travail des journalistes et les libertés de la presse s’est développé ces dernières années. La loi anti-terroriste votée en 2015 impose aux journalistes de respecter la version officielle en cas de couverture des attentats, au nom de la sécurité nationale. A cet arsenal juridique s’ajoute un projet de loi débattu actuellement au Parlement égyptien qui pourrait assimiler les médias à des organisations terroristes.
Le gouvernement égyptien a annoncé de nouvelles mesures visant à réduire les dépenses des journaux nationaux, dont les dettes ont été estimées à 20 milliards de LE, en limitant le recrutement et en introduisant des mesures d’austérité. Certains journalistes ont pointé l’ambiguïté de telles réformes, qui pressent les médias d’augmenter leurs revenus alors même qu’ils n’ont pas de ligne éditoriale indépendante. Des critiques face à l’avenir des employés en contrat temporaire, qui, d’après les nouvelles mesures verraient leurs contrats interrompus, ont également émergé. Des membres du syndicat des journalistes, frustrés de ne pas avoir été intégrés aux discussions, devaient se réunir à la fin du mois pour discuter de ces projets de réforme.
Ces réformes seraient menées conjointement par l’Autorité Nationale de la Presse, dirigée par Karam Gaber(ANP), et le nouveau Ministère de l’Information. Elles comprendraient un plan de collaboration accrue entre les différents journaux nationaux, ainsi que la création d’un fond pour développer des projets communs. L’ANP a précédemment reçu l’autorisation de contrôler les activités économiques et administratives des institutions nationales de presse et de pouvoir interférer dans la nomination de leurs présidents.
De son côté, fin janvier, le Conseil Suprême de régulation des médias annonçait, après avoir tenu une session de “consultation publique” avec l’Université américaine du Caire, l’UNICEF et le Conseil national pour l’enfance et la femme, la mise en place d’un code éthique pour les médias régissant les contenus destinés aux enfants et à la famille. Ce code éthique, dont le contenu n’est pas encore diffusé, serait obligatoire pour tous les médias, y compris les médias numériques.
Le secteur privé sollicité pour réduire les prix
Le ministère des finances cherche à impliquer le secteur privé dans une tentative d’allègement de la pression financière sur les couches de la société aux revenus les plus faibles. Fin décembre, la Fédération des chambres de commerce a annoncé une initiative pour stabiliser les prix : que les bénéficiaires du système de subvention reçoivent une aide pouvant aller jusqu’à un équivalent de 1 250 EGP par personne sur une période six mois, pour un maximum de cinq personnes par famille, et des réductions allant jusqu’à 50 % sur certains biens.
Les rabais seraient couverts par les fabricants, les distributeurs et le ministère des finances. Les deux fédérations auraient déclaré que 4,5 millions de commerçants et 132 fabricants seraient prêts à participer à l’initiative.
Le système des cartes d’approvisionnement couvre actuellement environ trois quarts de la population égyptienne. Si tous étaient éligibles à cette proposition, le coût estimé pourrait dépasser 80 milliards d’EGP. Le système proposé serait donc plus important que le projet de loi de subvention actuel du ministère de l’approvisionnement. D’après un article relayé par Mada Masr, le budget du ministère de l’Approvisionnement s’élevait à 88,2 milliards d’EGP en 2018-2019.
L’impossible accord sur le GERD
Les difficiles négociations entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan, relancées en novembre dernier pour s’accorder sur les modalités d’utilisation du Barrage de la Renaissance éthiopien, sont au cœur des débats et analyses dans la presse égyptienne depuis plusieurs mois. Après des discussions tenues début janvier à Addis-Abeba, un accord devait être présenté à Washington le 15 janvier 2020 en présence d’observateurs du secrétariat au Trésor américain et de la Banque Mondiale. En absence d’accord, les différentes parties ont repoussé l’échéance à fin janvier, puis à fin février.
En effet, le contentieux entre l’Égypte et l’Éthiopie concernant la répartition des eaux du Nil est source de grande tension. Ayant longtemps bénéficié d’un accès prioritaire aux eaux du Nil, l’Égypte craint que le remplissage rapide de ce barrage ne réduise sa part, dont elle est très largement dépendante : le Nil fourni plus de 90% de l’eau douce consommée dans le pays. L’Éthiopie, quant à elle, prévoit d’utiliser le barrage pour produire de l’électricité à usage domestique et pour l’exportation. En effet, l’Éthiopie remet en question l’accès privilégié de l’Égypte au Nil, le rendement annuel du Nil ayant été divisé dans des accords coloniaux auxquels l’Éthiopie n’a pas participé. Après huit années de négociations inabouties, l’Égypte a fait appel à une médiation internationale en octobre 2019, refusée par l’Éthiopie.
Les déclarations des différentes parties sont parfois contradictoires et confuses. Des informations ont rapporté que l’Égypte, qui avait exigé que sa part de récupération des eaux du Nil Bleu s’élève à 40 milliards de mètres cubes par an, aurait accepté de réduire ce chiffre à 35 milliards, ensuite démenties par les autorités égyptiennes.
L’établissement d’une définition commune de la « sécheresse », et les modalités de fonctionnement du barrage en période de sécheresse semblent provoquer des frictions continues. L’enjeu est de considérer simultanément les objectifs éthiopiens – remplissage du barrage et production d’électricité – , tout en préservant les intérêts égyptiens et soudanais – à savoir prévoir une marge d’écoulement d’eau suffisante dans l’éventualité de périodes prolongées de sécheresse. Un désaccord existe également concernant le temps réservé au remplissage – l’Égypte affirme désormais accepter que le barrage soit rempli entre 6 et 7 années, tant que le débit du Nil est à un niveau moyen ou supérieur à la moyenne, impliquant un taux différent en période de sécheresse. L’Éthiopie l’accuse d’exiger une période de remplissage allant de 12 à 21 ans, accusation réfutée par l’Égypte. Face aux frictions continues, l’Éthiopie a fait appel mi-janvier à l’Afrique du Sud pour être médiateur.
Fin janvier, les trois parties ainsi que la Banque Mondiale le Trésor américain – observateurs du cycle de négociations – ont publié une déclaration commune annonçant des accords sur un certains nombres de points, sous réserve de la signature de l’accord global, désormais prévu pour fin février. D’après cette déclaration, un calendrier a été établi pour un remplissage par étapes du barrages ainsi qu’un mécanisme d’atténuation du remplissage et de fonctionnement du barrage en cas de sécheresse. Cependant, il semble que certains points principaux n’ont pas encore été clairement éclaircis, notamment les conditions de l’exploitation annuelle et sur le long terme du barrage dans des conditions hydrologiques normales, ainsi que l’établissement de mécanismes de résolution de conflits entre les partie.
L’Éthiopie ayant prévu de commencer le remplissage du barrage en juillet prochain, l’urgence d’un accord final s’accentue. Un média égyptien rapporte que l’administration américaine ferait pression sur le gouvernement égyptien pour accepter les conditions éthiopiennes concernant le remplissage et l’exploitation du barrage. Cette résignation serait compensée par une aide de la Banque Mondiale à l’Égypte en cas de pénurie d’eau. L’Égypte semble en bien faible position pour mener les négociations à son avantage.