Réserves de change et change flottant : premier bilan, 2 ans après la réforme de 2016
Un bilan extrêmement mitigé
Deux ans après la libéralisation du taux de change et la mise en place du flottement de la livre égyptienne, le bilan est contrasté. Mise en place dans le cadre d’un plan de libéralisation de l’économie réclamé par le FMI en échange d’un prêt de 12 milliards de dollars, le change flottant ne fait pas l’unanimité au sein de la population égyptienne. Si une hausse des salaires s’en est suivie pour de nombreux Égyptiens, elle n’a pas suffi à atténuer le choc de l’inflation ; Le pouvoir d’achat de nombreux ménages a dramatiquement diminué depuis lors selon le journal Mada Masr. À titre d’exemple, à l’été 2017, le Parlement égyptien avait voté en faveur d’une hausse de 4,7% de la masse salariale des fonctionnaires qui passait alors de 229 milliards LE à 239,5 milliards LE. Toutefois, cette hausse substantielle était contrebalancée par une inflation d’environ 30% sur la même période. La hausse des salaires, dans le secteur public, n’a donc pas compensé la hausse générale des prix.
La fluctuation de la livre égyptienne a eu un effet négatif sur le pouvoir d’achat, notamment du fait de la forte dépendance du pays aux importations. La faiblesse relative de la monnaie égyptienne par rapport aux autres devises a provoqué une hausse des prix des biens et des services venus de l’étranger. C’est par exemple le cas du carburant dont le prix a fortement augmenté, passant de 2,35 LE/litre en novembre 2016 à 5,5LE/litre en 2018, soit pratiquement un doublement du prix à la pompe.
Des mesures provisoires pour lutter contre l’inflation
Afin de limiter l’inflation dite importée, le gouvernement a mis en place un taux de change fixe de 16LE pour 1$ pour les droits de douane sur les biens venant de l’étranger. Selon Al-Ahram, cette mesure, adoptée en janvier 2017 et allant à l’encontre du principe de flottement, devrait être maintenue pour les biens jugés essentiels ou stratégiques, mais disparaître en 2019 pour les biens jugés non-essentiels (tels que les cigarettes ou l’alcool). A noter ici que plusieurs acteurs économiques tels que le professeur Rashad Abdo de l’Université du Caire et le directeur de la division importation de la Chambre de Commerce, Ahmed Shiha, réclament une classification claire entre biens essentiels et non essentiels.
Prévisions 2019/2020 : budget, croissance et inflation
Des prévisions gouvernementales optimistes
Le gouvernement égyptien prévoit, en 2019, une croissance de 6,5% (soit 1,2 points de pourcentage de plus qu’en 2017), avec une cible d’inflation de 10,9% (en hausse par rapport aux années précédentes). Il a présenté fin novembre son budget pour l’année fiscale 2019/2020, qui commencera le 1er juillet pour s’achever le 20 juin de l’année suivante. Selon The Egypt Independant, le budget répond aux cinq ambitions fixées par le gouvernement pour l’année 2019, à savoir :
- la sécurité nationale, notamment face à la menace terroriste ;
- l’amélioration du niveau de vie, notamment dans le cadre d’une assurance maladie améliorée ;
- une croissance économique soutenue accompagnée d’une lutte accrue contre le chômage ;
- un renforcement de l’attraction du pays pour les investissements étrangers, grâce à l’amélioration des infrastructures par exemple ;
- l’amélioration de l’efficacité de l’État et de son administration et la réduction des dépenses publiques.
La croissance est par ailleurs soutenue par une baisse substantielle et régulière du chômage depuis plusieurs années (de 12,8% en 2015 à 11,8% en 2017). Il faut toutefois rester prudent face à ces chiffres, la mesure du chômage restant une opération complexe, notamment dans un État où l’économie informelle occupe une part importante de l’activité économique. Il faut ici souligner que la croissance pourrait, à terme, être ralentie par la baisse des salaires réels (la hausse des prix à la consommation excédant celle des salaires, notamment depuis la mise en place d’un change flottant). Si cette tendance n’est pas renversée à moyen terme, cela pourrait avoir un effet négatif sur le niveau de la demande et donc sur la croissance.
Un bilan optimiste à contraster
Il faut par ailleurs noter que les prévisions du gouvernement égyptien sont légèrement plus optimistes que celles du FMI, publiées début octobre dans son rapport Perspectives de l’Économie mondiale, qui prévoyait une croissance de 5,5% pour 2019. D’après le rapport, la croissance égyptienne ne devrait dépasser les 6% qu’en 2023.
Ces chiffres restent très satisfaisants pour le gouvernement, puisque le FMI a maintenu ses prévisions de croissance soutenue en Egypte alors que les perspectives des autres États de la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord ont été revues à la baisse. Cet optimisme est notamment attribué à un retour progressif des touristes en Egypte et à une hausse de la production de gaz naturel.
La confiance retrouvée des investisseurs serait aussi due aux réformes économiques mises en place par le gouvernement depuis novembre 2016 sous l’égide du FMI. Toutefois, l’effet positif de ces mesures sur l’économie nationale est à nuancer comme le montrent l’effet du change flottant sur les salaires réels et les mesures de libéralisation de l’économie telle que la suppression des subventions gouvernementales sur la production énergétique, qui risque d’accroitre à nouveau l’inflation (cf. ci-dessus).
2018, une année faste pour le commerce égyptien
Bilan du commerce extérieur de l’Egypte en 2018
D’après les premiers bilans, 2018 a été une année faste pour le commerce égyptien qui a crû, tant du point de vue des exportations que des importations. Selon l’Organisation générale pour le contrôle des exportations et des importations, affiliée au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, les exportations auraient augmenté de 11% sur les 9 premiers mois de 2018 par rapport à la même période en 2017. La croissance des importations aurait, quant à elle, atteint 14%. À noter que le commerce a particulièrement augmenté avec certains partenaires tels que les États-Unis (+33%), mais aussi les pays africains (+21%).
Les exportations de produits agricoles semblent avoir été particulièrement importantes : elles ont atteint 4,4 millions de tonnes entre janvier et novembre 2018, soit une augmentation de 316 652 tonnes par rapport à la même période l’année précédente. Cette évolution est une bonne nouvelle pour l’agriculture égyptienne qui avait été menacée d’embargo par de nombreux États, notamment l’Arabie saoudite et les membres de l’Union européenne au début de l’année 2018, en raison de la présence de niveaux de pesticides élevés dans les fruits et légumes. Cette menace avait alors incité les autorités sanitaires à renforcer leur niveau de contrôle.
L’Asie : un marché à fort potentiel
Cette tendance devrait se poursuivre, voire s’accentuer, puisque l’Egypte a signé, selon al-Monitor, un accord avec la Chine en vue d’y exporter 7 produits agricoles dont la pomme de terre, la grenade et le raisin. Ces exportations vers les marchés asiatiques pourraient entretenir voire accentuer la crise de la pomme de terre (cf. ci-dessous).
Le développement du commerce extérieur apparaît comme un chantier prioritaire pour le gouvernement égyptien qui a signé en novembre 2018 un document cadre en vue d’un accord de libre-échange avec l’Union économique eurasiatique, comme le souligne Egypt Today. Les premières négociations avec cette organisation, composée d’anciennes républiques soviétiques dont la Russie, devraient débuter dès le mois de janvier 2019.
Retour sur la crise de la pomme de terre
Les racines de la colère
L’automne 2018 a été marqué par une « crise de la pomme de terre ». En septembre, une hausse sans précédent du prix de la tubercule a frappé les ménages égyptiens : elle atteint jusqu’à 17 LE/kilo sur certains marchés, et ne désenfle pas pendant plusieurs semaines.
Certains acteurs du secteur de l’agro-alimentaire, notamment les agriculteurs, attribuent la responsabilité de cette crise à la politique de libéralisation du marché et de l’économie depuis 2016, tandis que les autorités mettent en cause la possible formation d’un oligopole du côté de l’offre de pommes de terre, qui pourrait être à l’origine de cette inflation.
Une autre explication est avancée par le ministère de l’Agriculture. Selon l’un de ses responsables, Abbas al-Shenawy, cette inflation est due à la tentative de certains détaillants de doubler leurs profits en stockant leur production au lieu de la vendre afin de réduire l’offre face à une demande constante voire croissante.
De nombreux médias proches du gouvernement ont d’ailleurs rendues publiques les opérations de police visant à saisir les stocks de pommes de terre prétendument stockés par les détaillants afin de faire augmenter les prix.
Quel rôle de l’État égyptien ?
Afin de remédier à cette situation, différents ministères ont mis en place des ventes à bas prix afin de venir en aide aux ménages égyptiens. C’est notamment le cas du ministère de l’Intérieur qui a saisi fin octobre, selon le journal al-Ahram, pas moins de 700 tonnes de pommes de terre à Damiette pour les vendre 6 LE/kilo contre 15 LE au prix du marché au même moment.
Cette pénurie d’un bien de première nécessité intervient à un moment délicat dans la mesure où de nombreuses hausses de prix sont attendues pour le début de l’année 2019. C’est notamment le cas des carburants dont le prix impactera les coûts de transports et pourrait avoir des répercussions majeures sur le prix de la plupart des autres biens de consommation destinés aux ménages.
Alexandre Vaillant