ANIMAUX EN VILLE
Une mobilisation contre l’abattage des chiens errants
Alors que le débat autour du projet de loi visant à exporter les chiens errants pour leur viande prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux égyptiens, une série d’acteurs tente de se mobiliser contre la politique d’abattage des chiens de rue (cf. Revue de presse Ville – Novembre). L’association TNR Maadi (Trap Neuter Return — Attraper Stériliser Relâcher) cherche ainsi à sensibiliser les Cairotes aux droits des animaux en proposant un système de contrôle alternatif. En coopération avec l’association Vétérinaires égyptiens pour le bien des animaux (EVAC), TNR Maadi mène une campagne de stérilisation des chiens et des chats errants dans les quartiers de Maadi et de Degla, au sud du Caire : « Tous les animaux de rue stérilisés et vaccinés [sont] marqués à l’oreille ».
Samih Sawiris, homme d’affaires égyptien et gérant du groupe Orascom avec ses deux frères Naguib et Nassef Sawiris, a fait un don de 50 000 LE (2 500 €) pour soutenir une campagne similaire de stérilisation dans le gouvernorat de Hurghada. Cette initiative a pour principal objectif de limiter les attaques d’animaux errants sur les habitants, sans avoir recours à des moyens violents pour en réduire le nombre.
Les positions ambiguës des députés
En parallèle de la mobilisation d’acteurs associatifs et privés, le député Abu Hamed a déclaré que l’abattage des animaux errants était inconstitutionnel, d’après une interprétation extensive de l’article 45 de la constitution, qui stipule que « L’État assure également la protection et le développement des espaces verts dans les zones urbaines, et la sauvegarde de la richesse végétale, animale et piscicole, la protection des espèces qui risquent l’extinction ou sont en danger, et la protection des animaux, dans le cadre de la loi ». Cette prise de position s’oppose à une fatwa d’Al-Azhar qui autorise les citoyens à tuer les chiens qui représentent une menace.
Le député Tadros Kaldas a quant à lui proposé la création de sites spécifiques, dédiés à l’accueil des dépouilles des animaux morts dans les rues. L’enjeu sanitaire est au cœur de cette initiative : il s’agit avant tout d’empêcher les maladies de se répandre et de réduire les pratiques d’abandon des cadavres d’animaux dans les cours d’eau ou la rue.
Le bien-être des animaux et l’enjeu sanitaire sont les deux principaux arguments mis en avant par les acteurs qui s’opposent à l’élimination brutale des animaux errants, toujours envisagés comme source de violence et de potentielle contamination.
MODERNISER LA VILLE
Encadrer les transports urbains : l’exemple des tuks-tuks
Le débat sur les tuks-tuks et leur légalisation a été relancé par plusieurs interventions de députés et d’universitaires dans les médias égyptiens. Ce moyen de transport, entre la moto et la voiture, a été importé des pays asiatiques et s’est développé en Égypte à partir de 2005. Il reste controversé parce qu’il représente un danger pour les automobilistes et les piétons et car la plupart des chauffeurs n’ont pas de permis pour les conduire ou ne sont pas majeurs. Le député Abdul Fattah Mohammed souhaite ainsi réglementer la circulation des deux millions de tuks-tuks dans le pays. Egypt Today rappelle néanmoins leur utilité quotidienne pour des millions d’habitants, du fait de leur flexibilité et de leur coût abordable. Il permet ainsi d’accéder à des chemins non praticables en voiture, mais aussi de circuler plus rapidement dans les embouteillages.
Au-delà du risque d’accident, l’enjeu pour les acteurs publics est de mieux encadrer ce système de transports parallèle et les échanges économiques qui y sont liés. En l’absence d’alternative viable au tuk-tuk et étant donné que ce débat a cours depuis l’introduction de ce moyen de transport au Caire, il semble qu’aucune solution unique ne puisse être acceptée par les usagers et les conducteurs. Cela nécessiterait probablement une restructuration plus globale de la voirie et du système de transports publics.
Le centre du Caire et la Nouvelle capitale, deux visages de la politique d’aménagement
Le centre du Caire et la Nouvelle capitale sont deux espaces où les politiques étatiques d’aménagement se manifestent avec le plus de visibilité. Le gouverneur du Caire, Khaled Abdel Aal, a annoncé la construction d’un nouveau marché autour de la place Sayeda Aisha, dans le quartier de Khalifa (à proximité de la Citadelle Salah el Din). Cette infrastructure doit accueillir les vendeurs de rue qui s’étendent à proximité de la mosquée Sayeda Aisha en régularisant et encadrant plus directement les activités économiques liés aux marchés de rue, comme cela a déjà été fait autour de la place Saad Zaghloul.
La politique de formalisation des activités économiques dans les centres du Caire renvoie aux chantiers de la Nouvelle capitale, à 45 km à l’est du Caire. Le site AP Images a ainsi publié un reportage photographique sur ce que deviendra le centre du Caire avec la construction de la Nouvelle capitale. Le texte du journaliste Hamza Hendawi et les photographies de Nariman El-Mofty mettent directement en relation les deux espaces. La logique commune de grands travaux, l’impératif de modernisation de la ville et les conséquences démographiques (exode des classes les plus aisées et de la plupart des fonctionnaires) rendent les deux politiques d’aménagement inséparables : « Ce sera la dernière phase de la fuite des riches (…), laissant le vieux Caire dans la négligence et la décadence. » Cette métamorphose, déjà amorcée avec la construction des villes nouvelles en périphérie du Caire, participe de dynamiques de ségrégation économique et sociale dans l’espace urbain. La Nouvelle capitale est décrite comme pouvant accueillir tous les Égyptiens, mais, selon Hamza Hendawi, le plus petit appartement y coûtera environ 1,3 million de livres égyptiennes.
VISION(S) DE LA VILLE / PAYSAGE(S) URBAIN(S)
La reprise du tourisme urbain ?
Un rapport du WTTC (Conseil pour les voyages et le tourisme internationaux) signale l’augmentation récente du nombre de touristes au Caire. La capitale égyptienne reste pourtant loin derrière les villes les plus touristiques du monde : le tourisme représentant 2,5% du PIB de la ville, contre 49,6% pour Cancun ou 30% pour Marrakech. Le cabinet de conseil, qui associe le développement touristique des villes à leur capacité à devenir des centres économiques globaux, souligne une croissance urbaine rapide et une reprise du tourisme huit ans après le pic en 2010.
Egyptian Streets reprend cette analyse et affirme que ces nouveaux flux de touristes sont liés à l’opération anti-terroriste dans le nord du Sinaï, la construction de la Nouvelle capitale et l’inauguration prochaine du musée national égyptien à Giza. L’organe de presse assimile ces politiques militaires, urbaines et culturelles à la « renaissance » touristique du pays, dont le gouvernement ne cesse de revendiquer à l’international sa capacité d’accueil du tourisme de masse et sa stabilité sécuritaire.
Ce retour annoncé du Caire sur la scène internationale, en matière de tourisme et d’aménagement, implique notamment une prise en compte du concept de développement durable. Egyptian Streets fait état des recherches du HRBC (Centre national de recherche pour le logement et la construction), affilié au ministère du Logement et chargé de construire un nouveau siège pour le ministère de l’Environnement au Nouveau Caire (New Cairo). La gestion de l’énergie et de l’eau est au cœur d’un renouvellement architectural tourné vers des valeurs de durabilité et de respect de l’environnement. Cette prise de conscience apparente reste à nuancer au vu des dépenses énergétiques liées à la construction d’une nouvelle capitale dans le désert.
En parallèle, des habitants du district aisé du Moqattam ont protesté contre l’abattage d’arbres et la suppression d’espaces verts dus au développement de nouveaux projets urbains. Certains députés et associations appellent également à défendre les espaces verts en ville afin de préserver un cadre de vie agréable selon Al-Monitor.
Les panneaux publicitaires, un enjeu visuel et symbolique
Le paysage du centre du Caire, des principaux axes de communication et des villes nouvelles s’est transformé au cours de la dernière décennie par la multiplication de panneaux publicitaires. Le député Mohammed Abdallah Zain el-Din a soumis au Parlement un projet de loi visant à limiter le nombre des affichages de grande dimension. Le principal argument invoqué est que ces panneaux, situés à proximité des principales routes de la ville, sont une nuisance pour les conducteurs et la cause de nombreux accidents.
Les chercheurs Mohamad Abotera et Safa Ashoub ont publié une analyse approfondie des panneaux publicitaires urbains sur le site de Jaddaliya. En prenant pour point de départ la dimension matérielle de ces panneaux, c’est-à-dire le fait qu’ils modifient le paysage urbain et qu’ils cachent des parties de la ville, les deux chercheurs dressent un portrait critique du message et des promesses véhiculées par les publicités. Ils se concentrent sur les panneaux faisant la promotion de villes nouvelles pour déconstruire l’idéalisation de la nature et les images stéréotypées d’un mode de vie moderne.
Dans un contexte où les pouvoirs publics cherchent à faire du Caire et de la Nouvelle capitale les symboles d’une Égypte moderne et progressiste, l’apparence matérielle et visuelle de la ville fait l’objet de tous les débats. Quelle skyline donner au Caire ? La mobilisation contre l’abattage des arbres, la multiplication des panneaux publicitaires, la gestion des animaux morts ou encore l’expulsion progressive des vendeurs informels dans la rue montrent que la représentation d’une ville s’appuie avant tout sur le paysage concret qu’elle offre.
Corten Pérez-Houis