Ressources hydrauliques : quelles réponses à l’insécurité hydrique ?
Bilan de la Cairo Water Week
La Cairo Water Week (CWW) organisée par le ministère égyptien de l’Eau et de l’irrigation s’est tenue du 14 au 18 octobre. L’événement a rassemblé les principaux acteurs du secteur de l’eau de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient, issus de la société civile (associations, experts scientifiques), d’organismes internationaux (FAO – Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), et de représentants publics des différents pays participants. Proposant des rencontres autour d’ateliers thématiques ciblés, des solutions innovantes quant à la rationalisation de l’usage de l’eau, à son transport, et à la diversification des sources exploitables ont été explorées.
En ce qui concerne l’Égypte, c’est la question de la sécurité hydrique qui se fait de plus en plus pressante au vu de la croissance démographique du pays. La stratégie 2017-2030-2037 exposée par le président al-Sissi reprend des pistes explorées depuis 2005 afin d’accroître l’accessibilité à l’eau ainsi que les quantités disponibles : collecte des eaux de pluies et des crues subites, recyclage des eaux de drainage, extraction des nappes phréatiques profondes et des eaux souterraines peu profondes, réutilisation des eaux usées et dessalement de l’eau de mer. L’accent a surtout été mis sur la remise à niveau des stations d’épuration, entre autres avec l’extension des capacités de la station de Gabal El Asfar à 2,5 millions de m3/jour, ce qui en fera la plus grande station d’épuration du continent africain.
Des initiatives locales présentées lors de la CWW ont été intégrées à la stratégie nationale, parmi lesquelles les systèmes d’irrigation à énergie solaire, introduits par la FAO et testés préalablement avec succès par la « Water User Association » dans le delta du Nil.
Stagnation des négociations relatives au Barrage de la Renaissance éthiopien
Les inquiétudes quant à la sécurité hydrique sont d’autant plus fortes que les négociations tripartites entre le Soudan, l’Éthiopie et l’Égypte relatives au Barrage de la Renaissance ont officiellement été déclarées bloquées par Mohamed Abdel Aty, ministre égyptien de l’Eau et de l’irrigation. Comme le souligne le site d’information Al Monitor, la CWW a permis de confronter les arguments des différentes parties prenantes, et de prioriser les analyses socio-économiques et scientifiques plutôt que politiques, au travers d’une plateforme internationale impartiale.
La Déclaration de principe signée en 2015 par les trois pays reconnaît les droits de l’Éthiopie à la construction et à la mise en service d’une infrastructure de ce type, dans les limites du respect des traités internationaux préalables. Ceux-ci, signés en 1959 par le Soudan et l’Égypte, octroient à cette dernière le droit de prélever 55,5 milliards de m3 d’eau sur le Nil. Les pays en amont du Soudan réfutent la légitimité de traités dont ils ne sont pas parties prenantes, et appellent à une nouvelle définition du droit international relatif au Nil incluant tous les États traversés par le fleuve.
La mise en service du barrage aurait des conséquences particulièrement négatives pour l’Égypte. Alors qu’il dépend à 70% du Nil pour son approvisionnement en eau, le pays se verrait privé de près de 10 milliards de m3 par an sur son quota pendant la phase de remplissage du réservoir du barrage éthiopien. La durée de celle-ci est aujourd’hui l’un des sujets centraux des négociations, le gouvernement égyptien souhaitant la faire porter de 7 à 11 ans pour atténuer les conséquences de la diminution de la baisse du cours du fleuve sur son secteur agricole.
Aide européenne pour l’amélioration de la sécurité hydrique du pays
Au-delà de la CWW, l’Égypte se tourne de plus en plus vers la communauté internationale afin de trouver des solutions durables à la crise hydrique. Le plan d’urgence du gouvernement relatif à la pénurie d’eau, en place jusqu’en 2021, s’appuie ainsi sur l’expertise européenne en matière de rationalisation du traitement et de l’usage de l’eau. Le programme EU-Water STARS, chiffré à 4,3 millions d’euros, agit directement à l’échelle des gouvernorats par un transfert local des technologies d’optimisation de la gouvernance de l’eau. La création d’une Unité de contrôle de l’eau de concert avec des experts européens, participe notamment de la volonté d’améliorer la qualité de l’eau distribuée.
Ressources énergétiques : de l’indépendance énergétique à la formation d’un hub régional
L’évolution du mix énergétique
Le gouvernement égyptien vise à assurer durablement son indépendance énergétique en diversifiant le plus possible son bouquet énergétique (répartition des différentes sources d’énergies primaires utilisées pour répondre à ses besoins énergétiques, soit en Égypte : 78% gaz, 14% pétrole, 7% hydroélectricité, et 1% renouvelable). Bien que le secteur du gaz soit largement dominant, des initiatives visant au développement du secteur des énergies renouvelables et du nucléaire sont en cours. Le gouvernement s’est ainsi fixé pour objectif d’atteindre 20% d’énergies renouvelables (12% éolien, 5.8% hydroélectrique et 2.2% solaire) dans le mix électrique (part du bouquet énergétique dédié à la production d’électricité) d’ici 2022, puis 37% d’ici 2035.
Une conférence visant à présenter le dernier rapport de l’IRENA (International Renewable Energy Agency) s’est tenue au Caire du 9 au 11 octobre afin de discuter des potentialités de développement des énergies renouvelables en Égypte. Plus ambitieux que le plan gouvernemental, l’IRENA y suggère que 53% de l’électricité pourraient être générés par des énergies renouvelables d’ici 2030, notamment par le développement du parc solaire de Benban, situé à proximité d’Assouan, susceptible de devenir le premier parc solaire mondial.
Vers un hub régional gazier centré sur l’Égypte
La découverte en 2015 des gisements de gaz en Méditerranée, avérés (Zohr) ou présumés (Atoll, Nooros) a remis en cause l’équilibre énergétique de la région, en permettant de libérer l’Égypte de la nécessité d’importer du gaz étranger pour sa consommation intérieure. Pays importateur depuis la révolution de 2011, l’Égypte ambitionne de devenir un pôle de transit pour le gaz régional, traité et liquéfié sur son territoire, puis exporté vers des zones importatrices, en premier lieu l’Union Européenne. À terme, l’Égypte cherche à développer des secteurs énergétiques différents pour répondre à sa demande énergétique intérieure, et pouvoir exporter la totalité du gaz présent sur son territoire.
Ses voisins israélien et chypriote disposent également de ressources propres conséquentes, dont les plus notoires sont respectivement les gisements du Léviathan et d’Aphrodite, mais ne possèdent pas d’infrastructures adéquates ou d’un cadre réglementaire suffisamment attractif pour permettre la mise en place d’un hub régional.
Contrairement à Chypre, l’Égypte dispose de plateformes de liquéfaction opérationnelles (Idku et Damiette). De plus, en permettant aux entreprises privées d’utiliser les réseaux de traitement et de transport du gaz, et d’importer directement du gaz naturel, le gouvernement égyptien s’est démarqué par rapport à son rival régional, Israël, en offrant un cadre beaucoup plus propice à l’implantation du secteur privé. Par sa politique de libéralisation progressive du secteur du gaz, l’Égypte a réussi à attirer les investissements de grandes compagnies gazières étrangères.
La signature d’un contrat avec Chypre en septembre dernier scelle le succès de cette politique, avec le lancement de la construction d’un pipeline liant le gisement d’Aphrodite aux centres de liquéfaction égyptiens. Cette alliance énergétique avec Chypre est le premier jalon de la constitution du hub gazier égyptien, et met à distance le pôle israélo-turc, jusqu’alors en concurrence pour devenir l’un des principaux exportateurs de gaz vers l’Union Européenne.
La face cachée de la libéralisation
Selon celle-ci, la société égyptienne East Gas a profité de la libéralisation du secteur du gaz pour devenir propriétaire à la fois de parts du pipeline d’Ashkelon Arish liant Israël et l’Égypte, et d’une licence d’exploitation de champs gaziers israéliens. Sous le couvert de cette entreprise, dont ils sont les actionnaires majoritaires, les services de renseignements égyptiens vont toucher à partir de 2019 près de 80% des bénéfices de l’import du gaz israélien en Égypte, en prélevant des taxes de transport, et en percevant une part des revenus de vente.
L’enquête dévoile également l’existence d’une étude modélisant les prix de vente du gaz israélien après son passage par les centrales égyptiennes : ceux-ci excéderaient les prix d’achat européens, laissant sans débouchés extérieurs le gaz importé, ce qui aurait des conséquences négatives sur le marché intérieur.
Une stratégie incomplète de lutte contre le changement climatique
Certaines initiatives gouvernementales, comme le développement des énergies renouvelables, ou l’attention croissante portée à la protection de la biodiversité, témoignent d’une volonté de lutter contre les effets du changement climatique. D’aucuns déplorent cependant l’absence d’une politique d’adaptation suffisamment ambitieuse pour confronter les problèmes posés par le changement climatique.
La situation est particulièrement alarmante dans le Delta et sur la côte méditerranéenne, zones devant faire face à la fois à la montée des eaux de mer et à la détérioration de la qualité des sols. Les retenues d’eau des barrages en amont du Nil empêchent en effet la formation suffisante de limon, ce qui, de pair avec l’infiltration croissante d’eau salée aux abords de la côte, contribue à l’érosion des sols et à la salinisation des surfaces agricoles.
Ce processus menace à la fois les zones rurales et urbaines, explique le site d’information Middle East Eye, et ce dans des régions très densément peuplées : à terme, le gouvernement égyptien estime que près de 5 millions de personnes devront être déplacées du Delta du Nil si une politique plus proactive n’est pas menée.
Tout en déplorant l’insuffisance des mesures prises, Yasmeen Fouad, ministre de l’Environnement, a annoncé la mise en place d’un fond international visant à financer des initiatives d’adaptation dans les cinq gouvernorats égyptiens les plus affectés (Port Saïd, Damiette, Dakahlia, Kafr El Sheikh et Beheira).
Pour aller plus loin :
Pour une analyse générale du secteur de l’électricité en Egypte :
Pour une analyse géopolitique de l’impact de la découverte du gisement gazier de Zohr sur l’équilibre énergétique de la région :
A. H. M.