Politique intérieure
Élections présidentielles 2018
Sans surprise, Abdel Fattah Al-Sissi a remporté les élections présidentielles dès le premier tour du scrutin, lequel se tenait du 26 au 28 mars sur le territoire égyptien et du 16 au 18 mars pour les citoyens égyptiens résidant à l’étranger.
Les résultats définitifs ont été annoncés le 2 avril par la Commission électorale nationale (CEN – al-Hay’a al-wataniyya li-l-intikhabat). Le président sortant s’assure un deuxième mandat en remportant une très large majorité des voix : 97,08% des suffrages ont été exprimés en sa faveur. Son unique concurrent, Moussa Moustapha Moussa, le chef du parti Al Ghad, a seulement recueilli 656 534 voix. Le nombre de bulletins blancs ou nuls a été estimé à plus d’1,62 million. Le taux de participation s’élèverait à 41%.
D’après certaines rumeurs, rapidement colportées par les médias étrangers, le joueur de football Mohamed Salah, attaquant de l’équipe nationale des Pharaons, aurait vu sa très grande popularité consacrée jusque dans les urnes. De nombreux électeurs auraient ainsi griffonné son nom sur leur bulletin de vote. Il est cependant impossible de vérifier et quantifier le phénomène.
Loi : création d’une nouvelle instance de lutte contre le terrorisme
Le Parlement égyptien a approuvé le 2 avril un projet de loi pour la création d’un Conseil suprême de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme (SCTE en anglais – Supreme Council for Combatting Terrorism and Extremism). Il remplacera le Conseil national de lutte contre le terrorisme, créé par décret présidentiel en juin 2017 à la suite d’une vague d’attentats terroristes sur le sol égyptien (cf. Revue de presse Politique, mai 2017).
Cette nouvelle instance réunira notamment le Président, le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement ainsi que des figures religieuses et militaires. Sa mission principale sera de mettre sur pied une stratégie globale de lutte contre le terrorisme renouvelable tous les cinq ans en coopération avec les médias et les institutions religieuses.
Des élections locales pour la première fois depuis dix ans
Le porte-parole du Parlement Salah Hassaballah a annoncé la tenue d’élections locales en Égypte dès l’an prochain. La Chambre des députés doit au préalable adopter un projet de loi relatif à l’administration locale pour que ces élections puissent avoir lieu.
Les conseils locaux avaient été abolis lors de la révolution du 25 janvier 2011 et remplacés par de hauts fonctionnaires nommés par le gouvernement. Les dernières élections locales ont eu lieu en 2008. Elles avaient été remportées à l’époque par le Parti National Démocrate, parti du président déchu Hosni Moubarak, dissout le 16 avril 2011 sur décision de la Haute cour administrative égyptienne.
Sinaï : le cri d’alarme de Human Rights Watch
L’ONG Human Rights Watch s’est inquiétée de ce qu’elle a qualifié de « crise humanitaire imminente » dans le Sinaï, où se déroule actuellement une vaste opération antiterroriste menée par les forces de sécurité égyptiennes (cf. ).
Dans un communiqué publié le 23 avril, l’ONG souligne que la campagne militaire a placé les 420 000 habitants des villes du nord-est de la péninsule dans une « situation d’urgente nécessité humanitaire ». Sont notamment dénoncées la forte diminution des stocks de vivres, la coupure totale d’approvisionnement en eau et électricité, l’interdiction de la vente et de l’utilisation d’essence pour les véhicules privés ou encore la fermeture, jusqu’à nouvel ordre, des écoles et universités du gouvernorat du Nord Sinaï.
L’armée égyptienne s’est défendue de ces accusations et a affirmé, images à l’appui, fournir l’aide humanitaire nécessaire et notamment la distribution de vivres aux populations résidant à proximité des zones de conflit. Les autorités ont par ailleurs déclaré qu’elles bénéficiaient du soutien de la population locale.
Amnesty International avait déjà alerté l’opinion quelques semaines plus tôt sur l’utilisation de bombes à sous-munitions par les forces égyptiennes dans le cadre de la campagne Sinaï 2018 (cf. ).
L’Égypte hostile aux ONG
Alaa Abed, député et président du Comité des droits de l’homme à la Chambre des représentants, a accusé sept ONG égyptiennes d’être financées par des services de renseignements étrangers afin de publier de faux rapports sur la situation en Égypte. Cette manœuvre viserait selon lui à saper l’image du pays sur la scène internationale. Le député a prononcé son discours le 8 mars à Alexandrie à l’occasion d’un symposium portant sur « le financement étranger pour la destruction des institutions de l’État ».
La loi régulant le travail des organisations de la société civile, ratifiée par le président Al-Sissi en mai 2017, avait déjà suscité la controverse (cf. Revue de presse Politique, mai 2017). Human Rights Watch avait à l’époque déploré dans un communiqué la « criminalisation » du travail de nombreuses associations et la fin de l’indépendance de ces instances vis-à-vis du pouvoir politique.
Politique extérieure
France-Égypte : des relations diplomatiques au beau fixe
Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi s’est entretenu le 3 avril, au lendemain de sa réélection, avec son homologue français Emmanuel Macron. Les deux chefs d’État ont échangé sur les principaux dossiers régionaux dont la situation à Gaza, en Libye et en Syrie.
Concernant la Syrie, ils se sont entendus sur « la nécessité d’une solution politique en Syrie », « seul moyen d’assurer au peuple syrien les conditions de sa souveraineté durable ».
La présidence française a également réitéré sa volonté de coopérer avec l’État égyptien en matière de lutte contre le terrorisme. L’Égypte a participé à la conférence contre le financement de Daech et d’Al-Qaïda, baptisée « No money for terror » et qui a eu lieu à Paris les 25 et 26 avril.
Le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est rendu en Égypte le 29 avril. Il s’est entretenu avec le président Al-Sissi, son homologue Sameh Choukry ainsi qu’avec le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit. Ont été évoquées les questions de l’avenir de la Libye, de la Syrie et du conflit israélo-palestinien. L’état des droits humains en Égypte a été abordé, à l’initiative du président égyptien selon Jean-Yves-Le Drian. Ce dernier lui a fait savoir que « la vitalité de la société civile et la garantie des libertés publiques sont le meilleur rempart contre le terrorisme ». La France a par ailleurs réitéré son soutien aux réformes économiques engagées en Égypte et son souhait de développer la coopération bilatérale.
Consolidation des relations entre l’Égypte et le Portugal
Le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa s’est rendu en Égypte pour une visite officielle du 11 au 13 avril. Il a été reçu par son homologue égyptien au palais présidentiel d’Ittihadiya où se sont tenues des négociations à huit clos.
Les questions de géopolitique et de lutte anti-djihadiste ont été abordées sans éluder la coopération économique et culturelle. Un accord de coopération bilatérale a été signé entre l’Autorité du Canal de Suez et l’Autorité d’investissement et du commerce portugais. L’économiste Magdi Sobhi estime que « le Portugal pourrait se transformer en une plaque tournante pour les exportations égyptiennes vers les pays du Mercosur, en particulier le Brésil, tandis que l’Égypte pourra servir de centre d’exportation des produits portugais vers l’Afrique de l’Est et les États du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) ».
Pour l’Égypte, l’amitié égypto-portugaise constitue en outre un atout pour ses relations avec le reste des pays membres de l’Union européenne.
Protestations à Gaza : l’Égypte appelle au calme
Une délégation égyptienne dirigée par le ministre des Affaires étrangères Sameh Choukry s’est rendue dans la bande de Gaza le 14 avril afin de convaincre le Hamas de mettre un terme aux manifestations de masse de la « marche du retour » organisées chaque vendredi depuis le 30 mars à la frontière avec Israël. En échange, l’Égypte, qui craint que ces manifestations ne se déplacent jusqu’à sa frontière, aurait promis au Hamas un assouplissement des conditions de passage au point de Rafah. Le Hamas a manifestement refusé cette offre.
La « marche du retour » est un mouvement de protestation annuel qui revendique le droit des Palestiniens à retourner sur leurs terres. Elle commence le 30 mars, journée de la Terre, en commémoration du massacre de Sakhnin du 30 mars 1976 et se termine le 15 mai, jour de la Nakba, en commémoration de l’exode des Palestiniens au lendemain de la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948.
Depuis le 30 mars, plus de 110 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne. Le 14 mai, alors qu’était célébré par Israël le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la répression brutale des manifestations par les forces israéliennes à Gaza a fait plus de 60 morts et des centaines de blessés. L’Égypte a en conséquence rouvert le point de passage de Rafah afin d’acheminer vers la bande de Gaza une assistance humanitaire accompagnée de matériel médical et de denrées alimentaires. Les blessés palestiniens sont transférés vers les hôpitaux égyptiens pour y être soignés selon le ministre égyptien de la Santé Ahmed Emad Eddine.
Orane NOZI