Politique intérieure
Sinaï 2018 : lancement d’une vaste offensive anti-djihadiste
Les forces armées égyptiennes ont lancé le 9 février l’opération Sinaï 2018 dans le nord et le centre de la péninsule, où la branche égyptienne du groupe État islamique est active et organise régulièrement des attaques. Les régions du delta du Nil et du désert occidental frontalier de la Libye sont également couvertes par cette campagne militaire. Une source anonyme de l’armée a déclaré que le nombre de personnels mobilisés atteignait 35 000 hommes. Cette opération globale mobilise tous les corps d’armée ainsi que la police et les forces spéciales.
Le chef d’état-major des armées Mohamed Farid a demandé au président Abdel Fattah Al-Sissi de prolonger l’opération de trois mois supplémentaires, lors de l’inauguration de la base de « commandement unifié de l’est du Canal » le 25 février. À cette occasion, le président a revêtu l’uniforme militaire pour la seconde fois depuis le début de son mandat.
Une conférence de presse a été tenue par le porte-parole de l’armée égyptienne Tamer El-Refae le 8 mars afin de rendre compte des premiers résultats de l’opération, un mois après son lancement. Selon l’armée, 105 « terroristes » auraient été éliminés et 472 engins explosifs détruits, tandis que 19 officiers égyptiens auraient trouvé la mort et 16 auraient été blessés. Le Canal de Suez est hautement surveillé par les forces navales égyptiennes. Une très importante quantité de drogue a par ailleurs été saisie et détruite.
Critiquer l’armée égyptienne : une haute trahison selon Al-Sissi
Lors de d’inauguration de la nouvelle ville d’El Alamein le 1er mars (cf. revue de presse Ville, mars 2018) et dans le contexte de la campagne militaire Sinaï 2018, le président Al-Sissi a personnellement mis en garde les médias contre toute diffamation de l’armée égyptienne, qui relèverait selon lui de la « haute trahison ».
Les autorités égyptiennes regrettent la couverture médiatique des opérations en cours dans le Sinaï : certains ont en effet souligné que les opérations provoquaient des pénuries alimentaires dans le nord de la péninsule et que des civils avaient été touchés par les frappes de l’armée. Les responsables égyptiens affirment quant à eux que les habitants ont été ravitaillés par l’armée et que les zones de combat se concentrent sur des cachettes du groupe État Islamique situées loin des zones résidentielles.
Si les déclarations du président n’ont désigné clairement aucun média, elles interviennent peu après qu’Amnesty International a pointé du doigt l’utilisation de bombes à sous-munitions par l’armée égyptienne dans le nord du Sinaï, suite à la mise en ligne d’une vidéo officielle sur le compte Twitter du porte-parole des forces armées égyptiennes. Les armes à sous-munitions font l’objet d’une interdiction internationale.
Élections présidentielles : L’Égypte épinglée par l’ONU
Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies a fustigé le 8 mars un « climat généralisé d’intimidation » en Égypte à l’approche des élections présidentielles qui se tiendront du 26 au 28 mars.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères, a dénoncé dans un communiqué des « accusations sans fondement » et a prié les Nations Unies « d’arrêter d’attaquer sans droit l’État égyptien » et « de prêter attention aux progrès accomplis en matière de démocratisation ».
Tous les potentiels concurrents du président sortant Al-Sissi, qui brigue un second mandat, se sont retirés de la course à la suite de pressions ou ont été mis en détention (cf. revue de presse Politique, janvier/février 2018).
Des mesures restrictives à l’endroit des organismes de presse ont également été prises. Le gouvernement avait bloqué l’accès à 21 sites Internet en mai 2017, dont un certain nombre appartenant à des médias égyptiens (cf. revue de presse Politique, mai 2017). Le parquet égyptien a par ailleurs annoncé le 28 février que la diffusion de « fausses informations » fera l’objet de poursuites judiciaires. Ce durcissement de la justice envers les médias fait suite à la diffusion d’un reportage de la BBC que le gouvernement avait jugé mensonger et dans lequel une femme égyptienne dénonçait la disparition forcée de sa fille.
L’Égypte occupe à ce jour la 161ème place sur 180 pays du classement mondial 2017 de la liberté de la presse selon l’ONG Reporters sans frontières.
Libération de 645 détenus égyptiens
Le ministère de l’Intérieur a annoncé la libération de 645 prisonniers le 9 mars dernier, dont 133 avaient été graciés par le président à l’occasion de la Journée nationale de la police et anniversaire de la révolution du 25 janvier. Les 512 autres détenus ont bénéficié d’une remise en liberté conditionnelle.
Un comité présidentiel de la grâce a été constitué en octobre 2016 à la demande du président Al-Sissi, détenteur du pouvoir de gracier en vertu de l’article 155 de la Constitution égyptienne, afin de statuer sur le cas des prisonniers éligibles à la dispense de leur peine. À ce jour, quatre listes de grâce ont été présentées.
Un projet de loi visant à modifier certaines dispositions de la loi n°3396 de 1956 relative à l’organisation des prisons a été approuvé en décembre 2017. Celui-ci définit l’admissibilité des prisonniers à la grâce de la police dès le moment où ils ont purgé la moitié de leur peine, plutôt que les deux tiers de leur peine, comme c’était le cas auparavant. Les prisonniers constituant une menace pour la sécurité publique ou reconnus membres d’une organisation terroriste ne peuvent prétendre à cette grâce.
Politique extérieure
Égypte-Turquie : jusqu’où montera l’escalade ?
Les frictions diplomatiques entre l’Égypte et la Turquie ont laissé place à une escarmouche militaire en mer Méditerranée près de Chypre. La marine turque a tenté de bloquer un navire italien d’exploration gazière, appartenant au pétrolier italien ENI, qui se rendait au champ gazier égyptien d’al-Zohr. En réponse, le porte-hélicoptère Mistral Anouar Al-Sadate a levé l’ancre depuis le port d’Alexandrie accompagné d’autres bâtiments et de sous-marins afin de riposter à ce qui a été qualifié par Chypre de « violation du droit international ».
Chypre constitue un espace stratégique majeur puisque c’est dans ses alentours qu’ont été découverts les plus grands gisements de gaz de la Méditerranée (cf. revue de presse Ressources, février 2018). Ils sont aujourd’hui exploités conjointement par Chypre, l’Égypte et la Grèce selon un accord tripartite dénoncé par le pouvoir turc. Ankara revendique des droits sur ces ressources grâce à son État satellite, la République turque de Chypre du Nord, État non reconnu excepté par la Turquie.
Le prince héritier saoudien au Caire pour sa première tournée internationale
Le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman s’est rendu au Caire le 4 mars pour sa première visite officielle à l’étranger. Il a été reçu au palais présidentiel par le chef d’État égyptien, avec lequel il s’est notamment entretenu sur la guerre au Yémen, le blocus envers le Qatar, la lutte contre le terrorisme et la coopération énergétique. Ils se seraient également mis d’accord pour le lancement de projets conjoints dans le secteur touristique autour de la Mer rouge.
À moins de trois semaines de la présidentielle, Mostafa Kamel Al Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, a affirmé à l’AFP que « sa visite sera interprétée comme la preuve que Riyad continuera de soutenir Al-Sissi pendant le prochain mandat ».
Celui qui est surnommé « MBS » dans les cercles diplomatiques a été désigné prince héritier et vice-Premier ministre du royaume d’Arabie saoudite le 21 juin 2017 par son père le roi Salman, déposant ainsi son neveu Mohamed Ben Nayef. Âgé de 32 ans, il est devenu le nouvel homme fort du pays après avoir orchestré une vaste purge anti-corruption contre ses rivaux le 4 novembre dernier. Partisan d’un pouvoir vertical dur, il a réussi à se construire une image de modernisateur et incarner l’apparente ouverture du royaume.
Orane NOZI