Institutions politiques
Alors que le Parlement égyptien, nouvellement élu en décembre, a tenu le 10 janvier sa première séance depuis la dissolution du précédent, le président Abdel Fatah Al Sissi a rendu pour la première fois visite aux parlementaires et donné un discours devant l’institution le 11 février dernier.
Le Parlement a déjà suscité plusieurs polémiques. Outre l’interruption quasi immédiate des retransmissions en direct des premières séances, qui avaient tourné au ridicule, notamment après que certains parlementaires ont insulté les réglementations de la chambre, plusieurs membres du parlement ont déjà annoncé leur démission (Sirri Siam, Kamel Ahmed).
Le député Tawfiq Okacha a été accusé par un groupe de députés, dans un communiqué, d’avoir trahi les « constantes nationales » pour avoir organisé un dîner avec l’ambassadeur d’Israël. Exclu du Parlement depuis, il a été agressé et plusieurs jeunes ont par la suite tenté d’incendier sa maison dans la province de Menoufeya.
Sécurité
Suite aux attaques répétées du personnel hospitalier par les forces de police, le syndicat des médecins a décidé le 30 janvier de fermer l’hôpital de Matareya, « étant donné la difficulté de protéger l’établissement et de garantir la sécurité des docteurs, tant qu’une action légale ne sera pas menée contre les violations des policiers. » Cette clôture, suivie par une grève partielle à l’hôpital de Banha causée par deux incidents similaires, et accompagnée d’une mobilisation médiatique importante du corps médical, a poussé à la mise en examen de neuf officiers.
Suite à ces manifestations, une assemblée générale d’urgence du syndicat des médecins, le 12 février, a réuni 4000 docteurs, demandant la démission du ministre de la Santé pour manquement à sa mission de protection des médecins. Le syndicat a voté une mesure garantissant la gratuité des soins dans les hôpitaux publics aux frais de l’État. La campagne appelée « Les soins gratuits sont votre droit » et qui permettra l’accès gratuit aux soins d’urgence 24h/24 et, sur certains horaires, aux soins courants, a été fortement critiquée par le ministère de la Santé et certains médias, qui accusent « les hôpitaux de mettre en danger la santé des patients de par cette mesure non-constitutionnelle ». Le secrétaire général du syndicat, Dr. Ehab Taher, a quant à lui défendu l’initiative en invoquant la loi : « Nous nous efforçons de reconquérir le droit aux soins médicaux gratuits pour tous les Égyptiens, d’autant plus que la vaste majorité des patients dans les hôpitaux publics viennent des classes défavorisées et ont des ressources très limitées. » Certains médecins se sont également mobilisés lors d’une manifestation silencieuse à l’échelle de tout le pays le 20 février, baptisée « Journée de la dignité ».
De la même façon, les avocats de la province de Gharbiya ont organisé un sit-in après l’agression de l’un de leurs confrères par un policier devant le tribunal de province.
Le mois dernier, un chauffeur de taxi de 24 ans, Mohamed Sayed, a été tué par un policier. Le sergent, Mostafa Abdel Hakim, a avoué avoir tiré sur le chauffeur qui « [l’] avait mis en colère » en voulant augmenter le prix de la course. Cet événement, au départ présenté comme un accident de défense, a entraîné des violences dans le quartier où vivait la victime (l’officier impliqué avait dû être hospitalisé suite aux blessures infligées par la foule).
Le 10 février, le cas d’un vétérinaire qui avait été attaqué, torturé puis tué par un officier de police dans le gouvernorat du Canal de Suez avait lui aussi suscité la colère des habitants, soulignant une fois de plus la violence des forces de police. Le ministre de l’Intérieur, Magdy Abdel Ghaffar, a annoncé que de nouvelles lois seraient soumises au Parlement sous deux semaines (déclaration du 22 février) afin de sanctionner les cas de violence policière contre les citoyens, tout en soulignant que ces cas étaient des exceptions et non la règle. Un projet de « postes de police modèles » a également été annoncé ; ceux-ci seraient mis en place sous deux ans et demi.
Le pouvoir judiciaire avait également été fortement critiqué pour son laxisme envers les forces de sécurité en janvier dernier. Les tribunaux avaient en effet annulé la peine de 15 ans de prison du lieutenant Yassin Salah Eddin, responsable de la mort de Shaimaa Al Sabbagh (une militante du parti de l’Alliance Socialiste qui participait à une marche commémorative pour les martyrs le jour du quatrième anniversaire de la révolution de 2011) du fait des « circonstances exceptionnelles » à cette date. De la même manière, le 16 février, la cour pénale d’Alexandrie a acquitté l’officier qui avait été condamné à 15 de prison pour avoir torturé à mort le détenu Sayid Bilal.
Prisons
Neuf journalistes détenus à la prison d’Aqrab ont débuté une grève de la faim afin de protester contre « la maltraitance et les mauvaises conditions de vie en détention ». Ils ont envoyé une lettre de doléance au Syndicat de la Presse, expliquant qu’ils étaient condamnés à une « mort lente ». Selon Hisham Gaafar, l’un des instigateurs de cette grève de la faim, deux d’entre eux dont l’état de santé nécessitait des soins en urgence ont été transférés à la prison-hôpital de Tora la semaine dernière. Le 29 février dernier, un porte-parole majeur des Frères Musulmans et son père, Gehad et Essam Al Haddad, ainsi que le leader islamiste Essam Sultan, ont rejoint le mouvement de grève de la faim.
Ces plaintes ne sont pas isolées : selon son chef Khaled Al Balshy, le syndicat a déjà sollicité le bureau du procureur à maintes reprises pour mettre fin aux « conditions inhumaines » de détention à Aqrab, sans succès. Plusieurs personnes, dont Al Balshy, ont pris part à un sit-in le 1er mars devant le syndicat,afin d’exprimer leur soutien à ces détenus en grève de la faim. Le Réseau arabe pour les Droits de l’Homme a quant à lui souligné « les excès du ministère de l’Intérieur ». Selon le Comité de protection des journalistes, l’Égypte est le deuxième pays au monde, après la Chine, à détenir le plus grand nombre de journalistes en prison (23 actuellement).
Droits de l’homme
De nombreuses sources reconnaissent la détérioration de la situation des droits de l’homme en Égypte. John Kerry l’a récemment affirmé, soulignant les cas récurrents ces derniers mois d’« arrestation de journalistes et de personnalités de la société civile. » L’Égypte connaît en effet une vague d’arrestations sans précédent.
On peut notamment citer, sur ces derniers mois, la condamnation à la prison à vie d’un garçon de quatre ans (Ahmed Mansour Qorani Sharara), accusé de meurtre lors d’une sentence collective. Suite au soulèvement de l’opinion publique internationale contre cette sentence, les pouvoirs publics ont retiré l’accusation et tenté de justifier de différentes manières cette erreur (confusion administrative, homonyme, faux nom donné lors de l’interrogatoire, etc.).
L’écrivain Ahmed Naji est quant à lui accusé d’« immoralité » pour le contenu de son dernier roman. Cette dernière arrestation a provoqué de nombreuses réactions, notamment celle du ministre de la Culture, Helmy Al Namnam, qui a saisi l’occasion d’une conférence de soutien à l’auteur pour souligner que les lois et décisions juridiques qui sont en contradiction avec la liberté d’expression inscrite dans la constitution doivent être revues, et que cette condamnation établit un précédent dangereux. Plus tôt ce mois-ci, la poète Fatima Naoot et le présentateur Islam al-Beheiry avaient été également condamnés pour atteinte à la religion, tout comme trois étudiants coptes, accusés de blasphème et condamnés à cinq ans de prison pour avoir réalisé une vidéo se moquant de l’organisation État Islamique.
Le cas de l’étudiant italien Giulio Regeni, disparu puis retrouvé mort, le corps portant des traces de torture, reste en suspens. Alors que les suspicions à l’encontre des forces de sécurité égyptiennes restent très fortes, le ministère de l’Intérieur a affirmé que les informations disponibles indiquaient une revanche personnelle. Dernier développement de l’affaire : l’agence de presse Reuters a rapporté le 1er mars que, selon un médecin légiste officiel égyptien, les blessures indiqueraient que l’étudiant a été interrogé et torturé pendant au moins sept jours avant sa mort, et que les marques ressemblaient aux méthodes des forces de sécurité. Les officiels continuent de nier ces accusations, mettant en cause les sources de l’agence de presse britannique.
Mahmoud Hussein, également connu comme le « Garçon au T-shirt », arrêté pour avoir porté un t-shirt dénonçant la torture d’État, est toujours en attente d’être jugé alors qu’il est détenu depuis plus de deux ans.
Au moins 20 disparitions forcées ont eu lieu à Alexandrie au début du mois de février. Ces abductions menées par les forces de sécurité visent une jeunesse de plus en plus mobilisée dans le nord du pays. Selon Human Rights Watch et le Centre Égyptien pour les Droits Économiques et Sociaux, l’Égypte détiendrait plus de 40 000 prisonniers politiques.
L’activiste et militant pour les droits de l’homme Hossam Bahgat, sorti de prison depuis deux mois, a été interdit de sortir du territoire, comme cela a été le cas de l’avocat militant des droits de l’homme Gamal Eid.
Société civile, ONG
Un ordre de clôture a été donné en janvier contre le centre Al Nadeem pour la réhabilitation des victimes de torture. Au départ attribué au ministère de la Santé (qui l’accusait d’avoir changé son nom et la nature de ses activités), le centre Al Nadeem a révélé le 21 février que les ordres venaient en fait « des plus hautes autorités », et étaient justifiés par ses « condamnations des violences policières contre des groupes terroristes ». Ses fondateurs et une partie importante de la société civilese sont mobilisés sur les réseaux sociaux contre cette décision, affirmant leur droit d’opérer comme clinique et centre de réhabilitation. « Nous sommes conscients de ce qui se passe en Égypte : la restriction des libertés des citoyens en général, en particulier des organisations de la société civile, et encore davantage des organisations pour les droits de l’homme. C’est une honte que le ministère de la Santé participe à cela. » Al Nadeem a par ailleurs publié son rapport pour février 2016, qui fait état de 111 personnes tuées ce mois-ci, 88 cas de torture et 42 cas de violence policière. Certaines personnes comparent l’augmentation de la brutalité des forces de police en février 2016 à décembre 2010, qui avait contribué aux soulèvements populaires de 2011.
Frères musulmans
Une enquête a été ouverte contre Abou Trika et Safouan Thabet, l’un footballeur, l’autre propriétaire du groupe laitier Juheyna. Ils sont accusés, avec 1363 autres personnes, d’avoir financé les Frères musulmans et les ultras (supporter du club Al Ahly) afin de troubler l’ordre public et de déstabiliser l’État.
Quatre journalistes accusés d’avoir rapporté de fausses informations ont été condamnés à trois ans de prison après avoir pris des photos et mené des interviews lors de l’autopsie de neuf Frères musulmans. Ceux-ci avaient été tués lors d’un raid des forces de sécurité dans une maison de la ville du 6 Octobre qui avait semé la controverse : alors que le ministère de l’Intérieur avait rapporté un clash entre forces de sécurité et les Frères qu’ils soupçonnaient de préparer une attaque terroriste, l’organisation a quant à elle affirmé que ce « clash » n’avait pas eu lieu et que les Frères tués n’étaient pas armés.
Le juge Amir Awad a également été arrêté alors qu’il défendait le report du jugement de 31 juges qui avaient été forcés à prendre une retraite anticipée du fait de leur prétendu soutien à Mohamed Morsi. Le président Abdel Fatah Al Sissi a également émis un décret le 18 février forçant la retraite anticipée de quatre autres jugespour les mêmes raisons.
Toute la presse égyptienne a applaudi, le 28 février, la proposition de loi faite aux États-Unis par une partie des Républicains à la tête du Comité Juridique qui vise à désigner également la confrérie comme une organisation terroriste. Alaa Youssef, porte-parole de la présidence égyptienne, a saisi l’occasion pour souligner que « le monde entier commence à prendre conscience du point de vue de l’Égypte ».
Société
Suivant la mouvance internationale contre ces sociétés, les chauffeurs de taxi égyptiens militent depuis plusieurs mois, entres grèves et manifestations, contre les entreprises Uber et Careem. Ces entreprises considérées comme « de service » constituent une concurrence déloyale pour les chauffeurs traditionnels car elles ne possèdent pas de licence.
Le récent discours du président Al Sissi, « Vision 2030 », a suscité des moqueries sur la toile. Réputé pour ses tournures directes et ses improvisations, le président a fait usage de plusieurs formules qui ont été tournées en dérision sur les réseaux sociaux, comme par exemple l’affirmation du président que les Égyptiens ne devaient écouter « nul autre que lui », ou qu’il était lui-même « prêt à se vendre » pour le pays (le président égyptien a ainsi été mis en vente pendant quelques heures sur le site eBay en guise de plaisanterie). Un élément de ce même discours, où le président annonce crûment : « celui qui s’approchera de l’Égypte, je l’éliminerai de la surface de la terre », a quant à lui été perçu par une partie des médias comme une preuve de nervosité ou comme un durcissement de ton.
Personnalités égyptiennes
Secrétaire général des Nations Unies de 1992 à 1997, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali est décédé le 16 février. Auparavant ministre d’État pour les Affaires étrangères en Égypte, il a été le premier secrétaire général des Nations Unies venant d’un pays africain. Son mandat a l’ONU avait été marqué par la doctrine de « l’Agenda pour la Paix », qui prônait le retour aux principes du Chapitre VII. On lui a néanmoins reproché les échecs des Nations Unies en Yougoslavie, au Rwanda et au Sahara Occidental. Après l’ONU, Boutros Ghali a été secrétaire général de la Francophonie.
Le 17 février est également décédé l’ancien directeur d’Al Ahram et confident de Nasser, Mohamed Heykal. « Icône » du journalisme arabe, il s’était fait un nom en couvrant la première guerre israélo-arabe de 1948, où il a rencontré Gamal Abdel Nasser, dont il deviendra par la suite le conseiller et la plume. Il a également été rédacteur en chef de Al-Ahram, avant de devenir ministre de l’Information en 1970. Il restera dans les mémoires pour sa proximité avec les cercles du pouvoir. Mohamed Heykal est également célèbre pour ses colonnes critiques et sa connaissance poussée de l’histoire.
M. D-G.